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loin hors du trou de sonde, brisant tout sur leur passage. Pendant plusieurs jours, on ne sut comment boucher l’orifice pour retenir le trésor au sein de la terre. L’un des intéressés eut alors une idée de Titan : l’on fit rouler des hauteurs voisines un immense bloc de grès ; c’était le tampon nécessaire. Pour le manœuvrer, on dégrossit un énorme tronc d’arbre qui servit de levier de serrage et maîtrisa l’huile sous la roche. Il fut possible ainsi de régler l’écoulement du liquide dans les réservoirs. Un puits qui donne 500 barils par jour est déjà dans la catégorie de ceux qu’on appelle a big thing, une grosse chose ; qu’était donc le puits de Tarr-Farna ? Dans les journaux, à l’armée, aux meetings, dans les salons, on ne parlait plus que de lui ; c’était une personne, un être surnaturel pour quelques-uns. Le persévérant avocat de New-York promoteur de tout ce mouvement mit un prix fabuleux à l’achat de la ferme avant tous les concurrens ; il fut sacré oil king, roi de l’huile ; sur cette province de son royaume, les acheteurs s’abattirent comme la grêle, avant même que le trou de sonde n’eût été tamponné. Une fois ils s’entassèrent, par une nuit orageuse, au nombre de vingt-huit dans la même cabane pour essayer d’y dormir : chacun d’eux avait quelques milliers de dollars en billets de banque dans une poche, un revolver dans l’autre ; la nuit se passa donc très bien, et dès le point du jour les arpenteurs étaient à l’œuvre, morcelant déjà la propriété de droite et de gauche.

En Amérique, la loi des mines est tout en faveur du propriétaire ; celui qui possède la surface possède en même temps le sous-sol ; il n’existe aucune différence entre le droit au fond et le droit au tréfond. La faculté de concéder est dévolue à l’état non comme un droit régalien, mais comme un droit de propriétaire : aussi ne peut-il en user que sur les terres qui n’ont point encore été Vendues aux particuliers, et tel n’est point le cas en Pensylvanie, où depuis longtemps le domaine public ne possède plus rien. Dès l’origine de la fièvre de l’huile, les travailleurs ne furent donc aux prises qu’avec les propriétaires, ce qui facilita considérablement toutes choses. En outre, comme ce genre d’exploitation ne nécessitait aucun travail en galeries souterraines, il n’y avait point à se préoccuper des servitudes de voisinage ; à quelques pas seulement de distance l’un de l’autre s’élevaient deux derricks appartenant à deux propriétaires différens, et dans le très grand nombre des cas il n’en survenait aucun trouble. Le grand nombre des puits dans les régions à pétrole n’a pas eu pour conséquence de faire pulluler les petits propriétaires. Les parcelles de territoire sont rarement vendues ; on les afferme pour une période de temps plus ou moins longue, dix ans, quarante ans et davantage. Les premiers venus dans Oil-Creek purent acheter des terres à des prix modérés ; mais après