Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ne faut pas croire d’ailleurs que les rapprochemens opérés par les découvertes même les plus récentes soient aussi étroits qu’on pourrait parfois le supposer d’après le langage de quelques partisans de Darwin. Le cochon et le chameau, le cheval et le tapir sont bien loin d’être réunis par la multitude de formes de transition qu’exigerait la vérification de la théorie. Pour ramener à leur juste valeur certaines exagérations, il suffit de jeter un coup d’œil sur les tableaux mêmes que je viens de citer, de parcourir les commentaires de l’auteur, qui certes n’a pas cherché à diminuer ce que les faits pouvaient avoir de favorable pour des opinions qu’il partage. L’interprétation la plus large de ces résultats ne saurait y montrer rien qui diffère de ce qui nous entoure. La nature vivante fourmille de genres aussi voisins et souvent bien plus rapprochés que ne le sont ceux qui figurent dans ces tableaux ; nos espèces sont tout aussi voisines et souvent bien davantage à coup sur. Qui ne distingue à première vue un âne d’un cheval, un zèbre de tous les deux et d’une hémione ? Or M. Gaudry lui-même déclare que toutes ces espèces se ressemblent tellement par le squelette qu’on ne saurait les déterminer d’après les caractères ostéologiques seuls[1]. Si elles venaient à être ensevelies ensemble, les paléontologistes futurs n’en feraient qu’une.

L’étude isolée du squelette tend donc à rapprocher, parfois jusqu’à la confusion, des espèces d’ailleurs très distinctes. Par conséquent lorsqu’elle nous montre des « différences assez notables » entre le type des hipparions et celui des chevaux, il est permis d’en conclure que la distance réelle a pu être sensiblement plus grande qu’on ne peut en juger par l’examen des fossiles. En réalité, il existe entre ces deux genres un de ces hiatus incompatibles avec la doctrine de Darwin aussi bien qu’avec celle de Lamarck. Pour le combler, il faut encore recourir à ces pages perdues si souvent invoquées, il faut encore en appeler à l’inconnu. Peut-être cet inconnu répondra-t-il demain en faisant découvrir un nouveau terme intermédiaire ; mais, guidé par l’analogie et par l’ensemble des faits connus jusqu’à ce jour, on peut prédire que jamais l’hipparion ne sera réuni au cheval par un nombre de formes suffisant pour fournir aux doctrines de la filiation lente rien qui ressemble à une preuve quelque peu démonstrative.

Toutes les réflexions précédentes s’appliquent à plus forte raison aux intermédiaires placés entre deux types plus élevés que ne le sont les genres et les familles. Malgré la juste autorité du nom de Huxley, je ne puis, par exemple, souscrire aux conclusions d’un de

  1. C’est la répétition dans le genre cheval de ce que le Dr Lund avait constaté au Brésil pour le genre rat.