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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/90

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vations personnelles, à dresser les généalogies d’un certain nombre d’espèces vivantes. Prenant, par exemple, comme distinctes cinq espèces de rhinocéros d’Asie et d’Afrique, il remonte à travers les périodes passées presque jusqu’aux plus anciens terrains tertiaires, et trouve dans le paloplothérium de Coucy[1] l’ancêtre commun de quatre genres entièrement éteints et de tous les rhinocéros vivans ou fossiles. Il ramène de même les chevaux proprement dits et les ânes à l’hipparion de San Isidro[2]. L’intervalle qui sépare les divers mammifères portés sur ces tableaux est loin d’être toujours le même, M. Gaudry est le premier à nous en prévenir. Avec la bonne foi du vrai savant, et à l’exemple de son maître, il signale lui-même les lacunes parfois très significatives que présentent ces généalogies, et en parlant des hipparions il déclare les avoir joints au genre cheval « malgré des différences assez notables. » Négligeons pour un instant ces différences ; supposons que les rapports indiqués fussent tous égaux en valeur à ceux que l’auteur regarde comme les plus étroits, y aurait-il dans ce fait quelque chose qui autorisât à conclure qu’ils ont la filiation pour cause ? Je ne puis le penser, et ici j’en appelle au monde actuel. Quiconque prendra au hasard dans une famille naturelle quatre ou cinq genres voisins, et disposera ces genres et leurs espèces comme l’a fait M. Gaudry pour ses fossiles, pourra certainement dresser des tableaux fort semblables aux siens ; mais, à quelque point de vue qu’on se place et quelle que soit la théorie, personne n’en conclura que ces genres descendent de l’espèce à qui ses caractères auront assigné le dernier rang. Or en pareille matière on ne peut juger de deux façons différentes selon qu’il s’agit de ce qui est ou de ce qui a été. Je ne peux donc accorder aux tableaux de M. Gaudry la signification qu’il leur attribue. Ils ont pour la science un intérêt sérieux en ce qu’ils permettent de saisir d’un coup d’œil les rapports multiples que présentent certains mammifères des anciens mondes entre eux et avec leurs représentans actuels ; ils n’apprennent rien quant à la cause qui a déterminé ces rapports. Il en est des tableaux dont nous parlons comme de celui qu’avait tracé Lamarck sous l’empire d’idées différentes, et qui devait représenter, dans la pensée de l’auteur, la filiation des classes animales. Considéré comme expression des rapports naturels, il a été confirmé sur bien des points, là même où il est en désaccord avec la dernière pensée de Cuvier[3] ; qui donc l’accepterait aujourd’hui comme arbre généalogique du règne animal ?

  1. P. codiciense, dans le calcaire grossier de l’éocène moyen.
  2. Hipparion prostylum.
  3. En particulier pour les cirrhipèdes, que Cuvier plaçait parmi les mollusques, et que Lamarck rattachait avec raison à la série des annelés.