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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/910

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Grande-Bretagne. Aussi n’est-il pas surprenant que la plus vaste raffinerie du monde entier se soit établie à Pittsburg. Elle est assise au bord même de la rivière Alleghany, entre ce cours d’eau et divers raccordemens de voies ferrées qui lui permettent de diriger ses produits sur Baltimore ou sur Philadelphie. Un trait peindra l’étonnante puissance d’initiative du petit groupe d’oil men qui, dès 1853, avaient jeté les yeux sur Oil-Creek : ces mêmes pionniers, qui surent se rendre acquéreurs en temps utile de la ferme de Tarr, qui ont fondé ou racheté plusieurs banques importantes, à Oil-City, Titusville et Franklin, sont également les fondateurs et les propriétaires de la « raffinerie-monstre. » Le pétrole brut y arrive porté par les bateaux, d’où il est pompé et refoulé dans des réservoirs de fer, à l’abri de l’incendie. L’un de ces réservoirs a une capacité de 20,000 barils ou 3 millions de litres, ce qui fait en poids 2,500 tonnes, — le chargement de deux ou trois des navires à voiles de première classe qui font les voyages du Havre aux Indes Orientales. Pendant mon séjour à Pittsburg, on se disposait à construire plusieurs de ces réservoirs, afin d’être en mesure de produire 250,000 barils de pétrole raffiné par an. Si ce projet est mis à exécution, un seul établissement de cet ordre suffirait presque à pourvoir aux importations de la France[1].

Pour raffiner le pétrole brut, c’est-à-dire pour en extraire l’huile d’éclairage, on use du même procédé que pour fabriquer l’esprit-de-vin : on chauffe le pétrole dans une cornue qui rappelle tout à fait l’alambic où l’on chauffe le jus de raisin fermenté, puis on condense les vapeurs d’huile, comme on condense les vapeurs d’alcool, en les refroidissant à travers un serpentin baigné dans l’eau froide. Pour manier les vapeurs de pétrole, il faut s’entourer des plus sévères précautions. Dans la grande raffinerie de Pittsburg, tout est spécialisé, et chaque spécialité est logée à part. Le bâtiment où l’on distille est entièrement bâti en fer. Les cornues sont au nombre de dix, et peuvent traiter à la fois plus de 3,500 barils de pétrole. Au lieu d’être exposées à l’action directe du feu, elles sont chauffées par un courant de vapeur sèche qui a circulé préalablement dans des tuyaux de 100 mètres de long, qu’enveloppent de tous côtés les flammes de trois foyers réchauffeurs. Pendant la

  1. En 1868, la France a importé 293,000 barils en nombre rond. Les ports d’arrivée ont été, par ordre d’importance, Marseille, Le Havre et Rouen, Dunkerque, Bordeaux, Nantes et Saint-Nazaire. — Anvers est la ville qui a importé les plus grandes masses d’huile américaine, 400,000 barils. Brême vient ensuite, 350,000. Cork et Gibraltar sont en troisième et quatrième ligne, Marseille en cinquième. Liverpool n’importe plus aujourd’hui que le tiers environ de ce qu’importe Marseille ou Le Havre ; Londres reçoit moitié moins que Liverpool. Ces deux ports et en général tous les ports anglais perdent chaque année quelque chose de ce transit, parce que les centres de consommation tendent de plus en plus à s’approvisionner directement en Amérique.