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leur, la lumière, l’électricité, se transforment en organismes élémentaires constituant pour chaque règne une sorte de fonds de réserve chaque jour renouvelé, et où la nature trouve toujours à puiser pour enfanter des formes nouvelles. Or la nature n’est pas une puissance indépendante. Dans ses actes, elle est assujettie à des lois, « expression de la volonté suprême qui les a établies[1]. » Par conséquent elle ne peut s’égarer, et voilà comment ses productions rentrent toutes dans ce cadre dont la paléontologie, malgré ses immenses progrès, n’a pas eu à multiplier les cases principales[2].

Darwin ne remonte pas aussi haut que Lamarck. Il ne cherche nullement à expliquer l’existence de son prototype, et nous avons vu comment il s’exprime au sujet de la génération spontanée. Cette réserve a été blâmée par quelques-uns des partisans aussi bien que par certains adversaires du savant anglais. On lui a reproché de laisser sa théorie incomplète, de ne pas tenir ce que promettait le titre de son livre en reculant devant la question d’origine première. Je ne puis m’associer à ces critiques, quel que soit le sentiment qui les ait dictées. Tout homme a bien le droit de fixer lui-même les limites où s’arrête son savoir. D’ailleurs la déclaration de Darwin en ce qui concerne la génération spontanée est pleine de mesure et de sens. Il tient ici le langage du vrai savant. Sans doute la science n’a pas démontré l’impossibilité de la formation d’un être vivant sous la seule action des forces physico-chimiques ; sans doute rien n’autorise à affirmer que cette impossibilité ait existé de tout temps dans le passé, qu’elle doive exister à jamais dans l’avenir. Toutefois, en présence des recherches modernes, en présence des faits acquis très récemment encore, quiconque aura suivi attentivement les discussions soulevées par la question des générations spontanées, quiconque aura présent à l’esprit le détail des expériences invoquées des deux côtés, n’hésitera point à regarder ces générations sans père ni mère comme un phénomène étranger à notre monde actuel. Or, la génération spontanée manquant, la

  1. Histoire naturelle des animaux sans vertèbres ; introduction. Quelques pages plus haut, Lamarck s’exprime ainsi : « Parmi les différentes confusions d’idées auxquelles le sujet que j’ai ici en vue a donné lieu, j’en citerai deux comme principales… et celle qui fait penser à la plupart des hommes que la nature et son suprême auteur sont pareillement synonymes. » J’ai déjà cité d’autres passages analogues. On voit combien se trompent ceux qui mettent Lamarck au nombre des athées.
  2. L’Eozoon canadense lui-même, ce fossile singulier qui a rejeté l’apparition des êtres vivans si fort au-delà des époques silurienne et cumbrienne, a trouvé sa place toute préparée dans le groupe des foraminifères, à côté de genres depuis longtemps connus et décrits. (On the structure, affinities and geological position of Eozoon canadense, by W. Carpenter.)