Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

théorie de Lamarck perd tout point de départ. Darwin, en se refusant à expliquer l’origine de la vie, en prenant l’être vivant comme un fait primordial, échappe de ce côté à toute difficulté.

En revanche, pour être accepté, ce fait hypothétique doit évidemment concorder avec les faits réels ou tout au moins ne pas être en désaccord avec eux. Or ici la conception de Darwin soulève par elle-même une objection des plus sérieuses. Au fond, elle consiste à admettre que la cause inconnue désignée par nous sous le nom de vie a joué à la surface du globe le rôle d’une puissance créatrice, et cela une seule fois, pendant un temps limité et d’une seule manière. Eh bien ! c’est là une supposition impossible à accepter pour quiconque se place exclusivement au point de vue scientifique. Aucun des groupes de phénomènes étudiés par n’importe quelle science ne nous présente un fait semblable, aucune des causes de phénomènes ayant reçu un nom ne s’est comportée, ne se comporte ainsi. Pour si loin qu’on les ait poursuivies et en tant qu’elles se prêtent à l’observation, on les a constamment trouvées à l’œuvre, accusant leur action énergique ou faible, intermittente ou continue, par des effets multipliés et divers. La cause qui a produit les êtres vivans a-t-elle procédé d’une tout autre manière ? S’est-elle manifestée à l’origine des choses et a-t-elle ensuite disparu, ne laissant comme trace de son passage qu’une seule et unique empreinte ? N’a-t-elle agi un instant sur notre terre que pour engendrer un archétype et s’arrêter ensuite à tout jamais ? Cette hypothèse absolument arbitraire a contre elle toutes les analogies tirées de l’histoire des autres branches du savoir humain. L’homme de science ne peut donc accepter le fait initial admis par Darwin.

Le savant anglais ne dit nulle part s’il suppose que son prototype ait été représenté par un ou plusieurs individus. Mlle Royer, interprétant, complétant peut-être sur ce point le livre qu’elle a traduit, admet de la manière la plus large la multiplicité des organismes primaires. Le fait d’un ancêtre unique lui paraîtrait un miracle. « Si cet ancêtre a existé, dit-elle, ce ne peut être que la planète elle-même, » qui, « à l’une des phases de son existence, aurait eu le pouvoir d’élaborer la vie. » La surface de la terre, alors baignée par les eaux, aurait produit en nombre immense des germes « sans aucun doute tous semblables. » M. Dally a fait remarquer avec raison que ce caprice subit de la « matrice universelle » constituerait un miracle non moins incompréhensible que celui qui répugne à Mlle Royer[1]. De cette hypothèse découlent d’ailleurs des conséquences fort graves, qu’accepte sans hésiter le traducteur de

  1. De la place de l’homme dans la nature ; introduction.