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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/977

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villes libres furent les vrais représentans du pédantisme scolastique. Leur rituel baroque, leur code barbare connu sous le nom de tabulature, leurs séances solennelles, offrent un tableau fort comique de l’école stationnaire, exclusive, étroite, ennemie de toute libre inspiration, qui fait de la poésie un métier et du génie un apprentissage. La plus célèbre de ces écoles apparaît au XVIe siècle dans la florissante Nuremberg, au temps d’Albert Dürer. Richard Wagner, qui cherche toujours la grande vérité humaine sous les types nationaux, a vu dans ce cadre plaisant le sujet d’une comédie sérieuse et vraiment dramatique. Il a imaginé de mettre en face de ces pédans d’école un poète de race plein de jeunesse et de flamme qui chante comme l’oiseau sur la branche parce qu’une voix intérieure lui commande, qui ne connaît d’autre prosodie que les battemens de son cœur généreux, d’autre règle que son inspiration impétueuse et souveraine. Voilà donc la poésie, l’enthousiasme, le génie, aux prises avec la prose et l’impuissance. Cette lutte est le fond même du drame, où le noble, le beau et le vrai triomphent du petit, du ridicule et du faux par leur seule puissance d’expansion. Cette belle idée a été mise en action avec une variété de caractères, une abondance d’épisodes, une fécondité d’invention poétique, une richesse mélodique et instrumentale, qui font de ce drame une œuvre prodigieuse dans son genre.

Au lever du rideau, la scène représente l’intérieur de l’église Sainte-Catherine à Nuremberg. La grande nef se perd obliquement à gauche et ne laisse voir que les derniers bancs des fidèles. L’orgue roule, et l’assemblée chante la dernière strophe d’un choral à quatre voix dont l’harmonie pleine remplit la voûte sonore. Comme dans tous les cantiques luthériens, la mélodie grave et mesurée se repose un instant après chaque vers, pour reprendre son essor. Pendant ces courtes poses, une pantomime significative s’engage entre deux personnages. Un jeune chevalier, vêtu d’un riche costume de velours, est debout au premier plan, derrière un pilier, et tient ses regards attachés sur une jeune fille assise au dernier rang des fidèles. Il semble vouloir lui parler, son geste ému exprime une prière fervente, un désir profond contenu par le respect. À ce mouvement passionné, la jeune fille, honteuse, hésitante, répond par des regards mal assurés, mais pleins d’âme et de confiance, puis soudain baisse la tête, rougit et reprend son cantique. La fin de l’office interrompt ce dialogue muet, puissamment interprété par le chant expressif des violoncelles. Les fidèles s’acheminent vers la sortie ; la jeune fille, accompagnée de sa nourrice, fait quelques pas vers la porte ; mais le chevalier fend la foule, va droit à elle et l’aborde.