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Le chevalier, disons-le tout de suite, c’est Walther de Stolzing, jeune seigneur de Franconie, qui vient d’arriver à Nuremberg. Reçu hospitalièrement dans la maison de l’orfèvre Pogner, un des maîtres chanteurs les plus riches et les plus respectés, il s’est passionnément épris de sa fille, et s’en est venu jusqu’à l’église pour lui parler tête à tête. Eva, tremblante, émue, vaincue d’avance, ne sait que dire, et cherche un prétexte pour s’arrêter ainsi en pleine église ; mais il n’est jeune fille si naïve que l’amour ne rende merveilleusement rusée. Eva sait bien pourquoi elle a oublié son mouchoir sur le banc et perdu son bracelet en route. — Va les chercher, ils y sont, dit-elle à sa camériste, et celle-ci de courir. Aussitôt un dialogue rapide s’engage, Walther presse Eva de questions. — Ce seul mot, vous ne me le dites pas ? La syllabe qui prononce mon arrêt ? Oui ou non ! — Rien qu’un murmure de votre bouche : mademoiselle, dites, êtes-vous fiancée ? — Qu’apprend-il ? Son père l’a promise au maître chanteur qui sera couronné demain par toute la corporation. — Et la fiancée, qui choisira-t-elle ? — Vous ou personne ! s’écrie Eva en s’oubliant. — Madeleine, la sage nourrice, a beau s’interposer d’un air d’importance et de protection maternelle, le mot est dit, il tinte dans les oreilles de Walther, il brûle dans son cœur. Les amans se donnent rendez-vous pour le soir, Walther espère bien gagner le prix, et s’écrie avec feu dans un transport de joie :

Je t’aime, belle enfant, mais n’ai point de science ;
Aussi jeune est mon cœur que ma jeune espérance !
Je ne sens qu’un désir :
T’enlever, te ravir,
D’un effort de jeunesse,
D’un élan d’allégresse.
Faut-il combattre ? Eh bien ! mon glaive frappera.
Faut-il chanter ? J’en suis ; ma voix te gagnera.
Déjà le feu sacré me trouble et m’inquiète,
Pour toi s’allume le désir,
Le saint courage du poète !

La mélodie amoureuse, interrogative, impatiente, qui semblait hésiter et s’essayer dans les questions brèves de Walther, s’élance et s’élargit avec ce serment juvénile en accens pleins de fierté chevaleresque, et prend les contours hardis d’un air éclatant qui termine vivement cette première scène.

Eva s’éloigne, entraînée par Madeleine, et Walther reste seul avec David. C’est l’apprenti de l’illustre Hans Sachs, cordonnier-poète. En partant, Madeleine, qui a un faible pour ce joli garçon, toujours sautant et fredonnant, l’a prié d’enseigner à Walther les secrets de l’école, car pour obtenir Eva il s’agit de devenir maître à tout prix.