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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/98

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tence, ni la divergence des caractères dépendant de l’hérédité, car toutes deux ont pour conséquence forcée de multiplier et d’accentuer les différences. Une « infinité de germes » obéissant à ces lois seules aurait nécessairement engendré une infinité d’êtres divergeant en tout sens. Pour que ces « lignées indépendantes, » isolées, et dont la loi de caractérisation permanente n’a pas réglé les rapports, eussent pu s’harmoniser à travers le temps et l’espace dans le tout que nous connaissons, il aurait fallu de toute nécessité que leurs écarts eussent des bornes imposées par quelque chose de supérieur. Mlle Rover n’indique rien à cet égard ; mais on voit qu’après s’être singulièrement rapprochée de Lamarck par la conception d’une genèse primitive qui ressemble fort à un acte de génération spontanée elle pourrait bien être près d’adopter encore quelque chose de fort analogue aux lois que l’auteur de la Philosophie zoologique regardait comme réglementant la nature.

En définitive, l’existence du prototype darwinien n’a sans doute en soi rien de rigoureusement impossible ; pourtant cette hypothèse est absolument gratuite et a contre elle l’analogie scientifique, c’est-à-dire le seul guide qui puisse nous diriger dans l’appréciation de ces questions obscures. Elle ne peut donc être acceptée par quiconque entend rester sur le terrain de la science seule. Or cette hypothèse n’est pas seulement une extension, une conséquence logique, mais d’importance secondaire, qu’on puisse accepter ou rejeter sans toucher au reste de la théorie, comme Darwin semble l’admettre[1]. Elle est en réalité le point de départ obligé de toute la doctrine, et la résume pour ainsi dire. Toutes les raisons invoquées en faveur de la sélection considérée comme cause de la dérivation lente et de la caractérisation des embranchemens, des classes, même des genres et des espèces, s’appliquent rigoureusement à la différenciation des règnes. Toutes les objections qu’on adresserait à celle-ci retomberaient sur celles-là. Si les ressemblances passagères des embryons d’une même classe témoignent en faveur de l’origine commune des êtres qu’elle comprend, la ressemblance fondamentale des corps reproducteurs, la motilité de certaines spores végétales, accusent l’origine commune des animaux et des végétaux. Si l’existence de quelques termes intermédiaires ou d’un petit nombre d’espèces ambiguës peut être invoquée à titre de preuve par le darwinisme quand il s’agit de montrer que tous les vertébrés descendent d’un ancêtre commun, l’existence de groupes entiers que se disputent ou se renvoient les botanistes et les zoolo-

  1. Origine des espèces, chap. XIV, 4, et Variations des animaux et des plantes ; introduction.