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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/980

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avez-vous appris le chant ? » À cette question, Walther voit surgir dans son âme ses plus beaux souvenirs d’adolescence, il revoit comme en songe le château où, seul descendant de sa race, il a passé ses premières années dans une solitude austère, en douces rêveries, en longues méditations. Tout cela, la musique nous le fait pressentir vaguement dans un prélude d’une douceur infinie. Tel est le charme de cette mélodie où les notes rêveuses du cor se mêlent aux soupirs suaves des violons qu’on oublie le lieu de la scène et qu’on se croit transporté tout à coup dans une vaste forêt de hêtres séculaires, où le soleil printanier jette ses traînées lumineuses et qu’agite seulement un léger murmure de la brise. Walther est resté un instant comme perdu dans ses souvenirs, puis sa pensée se recueille et se formule d’elle-même dans un lied d’une mélodie lente et large.

En mon château calme et désert,
Couvert de neige, en plein hiver,
J’ai rêvé dans un long délire
Du printemps au divin sourire.
Un vieux recueil de chants d’amour
Me disait comment il soupire.
Walther[1], l’antique troubadour,
Fit vibrer mon cœur et ma lyre.
Et quand fondait le givre en pleurs,
Quand sur mon front pleuvaient les fleurs,
Les rêves de ma nuit discrète,
Les voix de mon divin poète,
Résonnaient par monts et par vaux
Dans la forêt resplendissante !
Là-bas, avec les gais oiseaux,
Là-bas j’appris comment on chante !

Il y a tant d’assurance dans son maintien, tant de fierté valeureuse dans ses paroles, que tout le monde s’accorde à l’écouter ; mais il faut d’abord que le marqueur, le critique redoutable, prenne place sur sa tribune. Le hasard veut que ce soit le plus fieffé pédant de toute l’école, et, chose plus grave, un prétendant à la main d’Eva. Depuis longtemps, il grille sur son banc, et sent sa bile s’échauffer contre le chevalier, dans lequel il flaire un rival. Maître Beckmesser, greffier de la ville, célibataire de cinquante ans en quête d’une belle dot, se croit le plus beau garçon et le plus

  1. Walther von der Vogelweide, le plus grand des lyriques allemands du moyen âge. Il vécut en Minnesinger ambulant sous Frédéric IL de Hohenstaufen. Au XVIe siècle, il n’avait rien perdu de sa renommée. Au XVIIe et au XVIIIe, il tomba dans l’oubli. Ressuscité de nos jours, il est plus célèbre que jamais. On l’a traduit en langue moderne, et de grands musiciens (témoin Schumann) ont recomposé les chants qu’il accompagnait, il y a six cents ans, de sa harpe rustique.