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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/994

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de l’esprit inventif, de l’imagination infatigable du peuple dans sa simplicité et sa franchise. Avec cela, quelle nature saine, riche et profonde ! Au dehors, la rudesse, la bonhomie, la fine malice de l’artisan ; mais sous cette forte écorce qu’il oppose comme une cuirasse infrangible aux sots et aux méchans, il y a des abîmes de tendresse et de poésie, des profondeurs de rêverie et de mâle tristesse, et tout au fond on trouve un sage plein de force et de joie. Si différens qu’ils soient, Hans Sachs et Walther de Stolzing sont faits pour se comprendre et se compléter. L’un arrive des hauteurs sublimes du rêve et de la pensée, l’autre sort du fin fond du peuple ; l’un aspire à descendre, et à se communiquer, l’autre à monter et à se retremper dans un air plus pur. Le chevalier met fièrement sa main dans la rude main de l’artisan devant le peuple assemblé, et le peuple applaudit, car il sent que c’est l’alliance de l’enthousiasme révélateur avec la tradition nationale, de l’art élevé avec l’art naïf, du génie avec le peuple.

Ce poème vit par lui seul, il se suffit à la rigueur ; mais il a reçu de la musique une intensité de couleur et une puissance d’expression qu’on ne lui supposerait jamais à la simple lecture. Détachez cette musique des paroles, vous y trouverez des fragmens gracieux ou grandioses, l’ensemble restera lettre close ; mais joignez-y le drame, elle s’illuminera soudain de la plus vive lumière. L’ouverture est, comme celle de Tannhäuser, un abrégé du drame lui-même. Elle débute avec éclat par la marche grave et rigide des maîtres chanteurs. Bientôt une phrase rêveuse confiée à la flûte, reprise par le hautbois et continuée par le violon, vient l’interrompre. Elle s’y glisse comme une bouffée de brise parfumée entre les lourdes colonnes d’une vieille église ; c’est le motif de Walther, germe flottant encore et mystérieux, d’où va sortir toute une symphonie. A partir de ce moment, il y a lutte entre les deux motifs. La marche attaquée par les trompettes revient persistante, inflexible ; mais la phrase mélodieuse s’en empare doucement, l’enveloppe de ses contours onduleux, et finit par la couvrir de son chant d’allégresse. On dirait une végétation exubérante qui pousse entre les dalles brisées d’un cloître en ruine, enlace les piliers massifs de ses rameaux touffus, et va suspendre aux plus hautes arcades ses festons de fleurs sauvages. Nous avons ainsi comme une image et comme un pressentiment de la lutte qui se prépare entre Walther et l’école.

Le charme original et captivant de cette musique réside dans la part active qu’elle prend au développement des caractères. L’orchestre a une richesse de coloris, des tons ardens, des effets de clair-obscur, qui frappent et fascinent. Non-seulement M. Richard Wagner dessine ses personnages par les motifs les plus saisissans,