Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/999

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bords du Rhin, la vie des camps, le retour triomphal à Rome dans le char qui montait au Capitole, le voyage en Orient et le gouvernement de Syrie ; d’autre part les souffrances et la mort de Germanicus, un cortège funèbre à travers le monde, les cendres rapportées par une veuve en habits de deuil, enfin les persécutions subies par sa mère avec une amertume, une violence, des imprécations, qui s’étaient gravées dans la mémoire de la jeune fille.

Lorsque la veuve de Germanicus fut exilée, exil qui précédait à peine la mort, la jeune Agrippine fut recueillie par Antonia, sa grand’mère paternelle. A douze ans, elle fut mariée par Tibère, qui choisit pour elle un neveu d’Auguste, Cn. Domitius Ænobarbus, homme d’un caractère farouche, redouté par ses contemporains, qui avait tué un affranchi parce qu’il ne voulait pas boire à son gré, crevé l’œil à un chevalier romain en plein Forum, écrasé sur la voie Appienne un enfant trop lent sur lequel il avait lancé son char. Plus tard, accusé d’inceste avec sa sœur Lépida, il ne fut sauvé que par la mort de Tibère, le grand justicier. Après neuf ans de mariage, Agrippine mit au monde Néron, le jour même où Tibère expirait, comme si l’âme du tyran quittait une dépouille usée pour entrer dans le corps d’un tyran plus exécrable encore. A ceux qui le félicitaient, Domitius répondit : « D’Agrippine et de moi, il ne peut rien naître que de monstrueux et de funeste au peuple romain. » On prétend aussi qu’Agrippine, entendant les devins prédire que son fils régnerait, mais qu’il la ferait périr, s’écria : « Qu’il me tue, pourvu qu’il règne ! » Ce cri dévoile la profondeur de son ambition.

Appelée bientôt par son frère Caligula à partager sa grandeur, ses débauches, sa couche et les honneurs divins, Agrippine ne s’étonna ni de l’inceste, ni de l’éclat de la toute-puissance. Les monumens aussi bien que l’histoire ont conservé la trace de la faveur passagère des trois sœurs de Caligula. Elles sont représentées sur les monnaies de bronze avec les attributs de la divinité ; un camée du musée de Saint-Pétersbourg les montre dans toute leur beauté. Les actes officiels les mentionnaient ; les consuls et les magistrats, en prêtant leur serment, juraient par elles en même temps que par l’empereur ; dans les festins publics, elles étaient étendues sur le même lit que leur frère. L’exemple des vertus maternelles et la gloire si pure de Germanicus n’étaient ni un frein, ni une cause de remords. Le crime devenait une preuve plus enivrante d’un pouvoir élevé au-dessus des lois et au-dessus de l’humanité ; mais avec un fou rien n’est durable. Drusilla mourut ; Caligula se lassa de ses deux autres sœurs, et, après les avoir prostituées à son compagnon d’orgies Lépidus, il les accusa de conspirer avec Lépidus, et les relégua dans l’île Pontia.