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flottille et quelques centaines d’hommes. Cette troupe avait reçu une organisation militaire, jugée indispensable pour opérer en un pays si peu connu. Officiers, ingénieurs, ouvriers et matelots, tous étaient jeunes, car on s’était dit avec raison que l’entrain de la jeunesse pourrait seul surmonter les fatigues de l’expédition et le climat rigoureux des contrées à parcourir. Un détachement fut laissé au fond du golfe d’Anadyr pour explorer la route que devait suivre la section asiatique ; un autre prit terre à Saint-Michaël, près de l’embouchure du Yukon, avec la mission de remonter le cours de cette rivière. Ce fut alors que les difficultés apparurent. Faute de routes et de bêtes de somme, on ne voyage aisément à cette latitude que durant l’hiver, quand la neige recouvre le sol et que les rivières gelées fournissent aux traîneaux une surface de glissement facile. Deux hivers furent consacrés à ces explorations sans que le travail effectif de l’établissement d’un télégraphe fît des progrès appréciables. À ce moment, on apprit que le câble transocéanique avait été posé avec succès entre l’Irlande et Terre-Neuve ; l’union des deux continens était un fait accompli. La compagnie, qui avait déjà dépensé 3 millions de dollars en études et en achats préliminaires, s’aperçut à la fin qu’elle avait entamé une tâche trop difficile. Les travaux furent abandonnés. Il n’est resté de cette tentative avortée qu’un amas précieux de renseignemens sur la région septentrionale du Pacifique. On avait eu soin en effet d’adjoindre à chaque détachement d’explorateurs des savans qui étudiaient le pays avec plus de soin que les marchands de fourrures ne l’avaient fait avant eux.

Tandis que cette malheureuse entreprise suivait son cours, l’Amérique russe avait changé de maître. L’ambition séculaire de la Russie est de s’étendre au midi sur le continent asiatique. Poursuivies par une diplomatie habile et patiente, favorisées d’ailleurs par les révolutions intestines du Céleste-Empire, ces visées secrètes furent enfin satisfaites par deux traités avec la Chine. Le premier, en date du 28 mai 1858, avait donné au tsar le cours inférieur de l’Amour et de ses affluens méridionaux ; le second permit aux Russes de descendre jusqu’au sommet de la presqu’île de Corée ; c’est là que fut créé l’arsenal de Vlodi-Vostok, sous la latitude du 42e degré, où règne un climat comparable à celui du midi de la France. Si l’on considère encore que la Russie possédait dans cette région du globe l’île Saghalin et l’archipel des Kouriles, on se rendra compte que le territoire désigné sous le nom d’Amérique russe, pays froid, désert, éloigné, n’avait plus aucun intérêt pour ses anciens possesseurs. Cette province fut donc cédée aux États-Unis par une convention conclue en mars 1867, moyennant une indemnité de 7 millions de dollars. Les îles aléoutiennes étaient comprises dans le marché. La