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promoteurs de l’affaire ne se laissèrent arrêter par aucune objection. A la tête se trouvait un habitant de San-Francisco, M. Collins, qui avait été depuis dix ans en relations d’affaires fréquentes avec les Russes du Bas-Amour, et qui avait obtenu des gouvernemens de Londres et de Saint-Pétersbourg les autorisations nécessaires. Le colonel Bulkley, homme de savoir et d’énergie, était chargé de diriger les travaux en qualité d’ingénieur en chef. Avant de rien commencer, il était indispensable d’explorer le terrain. On ne connaissait le pays que par les rapports vagues des baleiniers qui s’arrêtaient quelquefois dans les baies du littoral, par des trafiquans de fourrures qui s’étaient avancés à quelque distance dans l’intérieur des terres, ou encore par les récits des indigènes, auxquels on ne pouvait accorder qu’une médiocre confiance. La ligne télégraphique projetée devait suivre la voie de terre depuis la Colombie britannique jusqu’au détroit de Behring, franchir ce bras de mer au moyen d’un câble, et revenir du nord au sud sur la côte orientale de la Sibérie pour rejoindre les comptoirs russes. Le parcours n’était pas de moins de 6,000 kilomètres. Le gouvernement du tsar avait déjà établi à cette époque une correspondance télégraphique entre Saint-Pétersbourg et Irkoutsk ; il annonçait l’intention de la prolonger jusqu’aux postes militaires situés à l’embouchure de l’Amour. En vue de rendre les transports plus faciles, on s’était dit d’abord que l’on suivrait de très près le littoral du Pacifique ; mais le premier voyage de reconnaissance fit voir que c’était impossible, en Amérique du moins, parce que la côte est formée, depuis la Colombie britannique jusqu’à Sitka, par d’épais massifs de montagnes qui sont le plus souvent inaccessibles. Il fallait donc s’éloigner de la mer et chercher une route moins accidentée à l’intérieur du continent. Le cours des rivières indiquait naturellement la voie à suivre. Après avoir remonté la vallée du Fraser jusqu’au lac Tatla, qui est l’un des réservoirs principaux de cette rivière, on n’est séparé que par une chaîne de montagnes de faible élévation du bassin de la rivière Mackenzie ; celle-ci prend naissance non loin des sources de la rivière Pelly, qui se jette dans le Yukon, et enfin le Yukon se déverse dans la mer de Behring, au fond de la baie de Norton, un peu au sud du détroit qui sépare les deux continens. De même en Asie, la vallée de l’Anadyr ramène le voyageur sur les bords de la mer d’Ochotsk en évitant la langue de terre du Kamtschatka. Par malheur, ces contrées de l’intérieur étaient encore moins connues que le littoral. Les compagnies russe et anglaise y avaient seulement créé à de larges intervalles de petits forts où les Indiens venaient vendre leurs fourrures aux marchands européens.

Au mois d’août 1865, le colonel Bulkley prit la mer avec une