Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/1030

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Paris n’a rien démenti ni rien confirmé ; il a couronné les élections de 1869 en rendant le droit de parler aux deux chefs les plus éminens de l’opposition parlementaire, dont l’élection a cela de caractéristique qu’elle est une victoire sur le radicalisme extrême au moins autant que sur le gouvernement.

Est-ce là tout cependant ? Le drame électoral allait-il finir ainsi, ou bien n’était-ce que le prélude d’un drame d’un nouveau genre, aux péripéties inattendues ? On a pu le croire un instant. Ce qui est certain, c’est que depuis le jour où le dernier bulletin est sorti de la boîte aux surprises, c’est-à-dire au moment où il était le plus nécessaire, le plus patriotique de rentrer dans le calme, ne fût-ce que pour laisser à la manifestation du suffrage universel sa majesté imposante et rassurante à la fois, on a essayé de donner à la bonne ville de Paris une représentation d’une autre espèce, la représentation de la force tumultueuse et des déchaînemens populaires à travers les rues. Nous avons eu la semaine aux émotions, et comme il y avait sous la restauration les scènes nocturnes du boulevard Saint-Denis. Nous avons eu les scènes du boulevard Montmartre. Tous les soirs, une tourbe venue on ne sait d’où se précipitait dans Paris, jusque dans le quartier des élégances et des oisivetés, criant, vociférant, brisant tout sur son passage, profitant, pour disputer le terrain et pour prolonger ses manifestations, de l’affluence des promeneurs, de cette curiosité parisienne qui ne résiste jamais à la séduction d’un spectacle un peu irritant. La bousculade s’est renouvelée pendant quelques jours entre la police et la foule, jusqu’à ce que des régimens de cavalerie, aient été mis en mouvement, sans qu’il y ait eu d’ailleurs la moindre apparence d’un combat sérieux.

Quelle était la signification de ce tumulte persistant, de cette série d’agitations renaissant chaque soir presque à heure fixe ? Était-ce une protestation contre le résultat du dernier scrutin, notamment contre le vote qui a laissé de côté M. Henri Rochefort ? Était-ce simplement un reste d’effervescence populaire survivant aux excitations des quelques semaines qui viennent de s’écouler ? Était-ce enfin, pour ne rien omettre, un moyen de tâter l’opinion, de voir dans quelle mesure la population elle-même prendrait feu, et de guetter l’occasion d’une de ces tentatives que M. Ledru-Rollin décrivait autrefois d’un trait si leste quand il disait en 1849 devant la cour de Bourges : « Croyez-vous donc que les révolutions se fassent en disant le mot pour lequel elles se font ? Non ; on s’empare de toutes les circonstances qui peuvent émouvoir l’opinion publique, et à l’aide d’un coup de main on renverse le gouvernement ! » Toujours est-il que jusqu’ici un certain mystère plane sur ces manifestations dont on ne connaît ni l’origine ni le but, et dont la population paisible a été la première victime, bien plus qu’elle n’en a été la complice. Un double courant a régné jusqu’au bout dans cette masse confuse pressée chaque