Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Nivernois, dont la prudence avait vainement cherché à tempérer le style audacieux du marquis. Il fut relâché de sa prison, mais avec ordre de partir immédiatement pour sa terre du Bignon et d’y rester en exil. C’est au moment où il vient de partir que la comtesse de Rochefort lui écrit la lettre suivante.


« 27 décembre 1760.

« Je me suis fait une très grande violence, mon très cher ami, pour me soumettre aux ordres de M. de Nivernois, qui m’a interdit la satisfaction de vous embrasser avant votre départ pour le Bignon ; mais il m’a dit que c’était un sacrifice que je vous devais, ainsi je n’ai pas osé répliquer. J’espère que vous me donnerez souvent de vos nouvelles, et vous les demande très détaillées. D’abord je veux savoir à fond si vous êtes content de votre santé, ensuite quel est le plan de votre vie pour ne vous point ennuyer dans une saison si triste à la campagne, et dans une campagne que je sais qui est fort triste, et où vous aurez bien peu de ressources avec vous. Tout cela m’occupe infiniment, car vous savez que je n’ai pas trop mauvais cœur, et je me flatte que vous savez bien comme il est pour vous. Je n’ai pas eu l’honneur de voir Mme de Mirabeau, quoique j’aie été la chercher pendant votre prison. Si je pouvais lui être bonne à quelque chose pendant votre absence, je m’estimerais fort heureuse, et je suis bien sûre que ce serait un moyen de vous plaire. Enfin, mon cher ami, faites de moi tout l’usage qui vous conviendra, vous me devez cette marque d’amitié. Je vous avouerai que je me suis saisie du présent que vous avez fait à M. de Nivernois. C’est le livre de Marc-Aurèle que vous lui avez donné, j’en ai été enchantée, il est si bien imprimé que j’espère pouvoir le lire, et c’est heureusement un livre qu’on peut toujours lire. Adieu, mon cher ami, je suis bien fâchée de ne pouvoir pas encore écrire moi-même. Il est vrai que vous en aurez plus de facilité à lire ma lettre ; mais cependant cela ne vous satisfait pas autant. »


Nous n’avons cité jusqu’ici du marquis de Mirabeau que des fragmens de lettres. Dans cette correspondance, il est en général trop occupé d’amuser Mme de Rochefort par des bizarreries plus ou moins-systématiques-pour se montrer aussi naturellement original et éloquent qu’il l’est dans d’autres lettres où il écrit sous l’influence de quelque sentiment passionné d’enthousiasme, de haine ou de mépris. Il faut cependant expliquer le genre d’agrément qu’il peut offrir, même quand il se travaille un peu pour jouer son rôle de divertisseur . Prenons la première épitre qu’il écrit de son exil du Bignon. Il sait très bien que son aventure a fait beaucoup de brait, que, si la cour le considère comme un séditieux, la France entière a les