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gâté dont la santé est chétive[1]. Bien qu’il fût au fond excellent, et même excellentissime, comme le dit Mme de Rochefort, la mission de le distraire exigeait pour une personne malade elle-même une forte dose de sérénité morale et de patience. « Ses nerfs, dit Mme de Rochefort, ne. sont pas aisés à traiter. Tout ce qui l’affecte ou l’applique lui fait un mal affreux, et cependant il faut qu’il s’occupe, et son activité a besoin de pâture. Je ne connais donc point de régime plus difficile que le sien. Je me garde bien de le lui dire, et qu’il en soit comme si je ne vous l’avais pas dit. » Il y a des jours où il est pris d’une passion insatiable de musique, et il faut alors que Mme de Rochefort en fasse avec lui ou pour lui littéralement depuis le matin jusqu’au soir.

Après le duc de Nivernois, la personne de la famille qui intéresse le plus vivement Mme de Rochefort et qui semble le plus intimement liée avec elle, ce n’est pas la femme, c’est la belle-mère de son. ami, la vieille comtesse de Pontchartrain. Il est sans cesse question d’elle dans les lettres de Mme de Rochefort et toujours avec l’accent d’une tendresse sincère, complètement partagée d’ailleurs par le duc de Nivernois, qui semble aussi très enthousiaste de sa belle-mère. Elle lui a même inspiré une romance qui figure dans ses œuvres imprimées. Mme de Pontchartrain de son côté est aux petits soins pour l’amie de son gendre. Quand celle-ci est malade, elle vient malgré son grand âge lui tenir compagnie tous les soirs. Pendant la belle saison, Mme de Pontchartrain vit dans une jolie résidence à Saint-Maur, près du château aujourd’hui démoli du prince de Condé, et c’est là que Mme de Rochefort vient s’établir tous les ans à poste fixe avec le duc de Nivernois, tandis que la duchesse, dont la maison de campagne est à Montrouge, ne vient à Saint-Maur que de temps en temps. C’est Mme de Rochefort qui fait en quelque sorte les honneurs du logis aux parens et aux amis de Mme de Pontchartrain et du duc de Nivernois. Les deux filles du duc, c’est-à-dire la jeune veuve du comte de Gisors, et Mme de Nevers, bientôt duchesse de Cossé-Brissac, occupent le troisième rang dans les affections et dans la correspondance de Mme de Rochefort avec le marquis de Mirabeau. Celui-ci étant lui-même alors très lié avec toute la famille de Nivernois, elle lui parle fréquemment des deux jeunes dames, et toujours pour les faire valoir[2].

  1. Cette constitution du duc de Nivernois ne fait d’ailleurs que rendre plus intéressans le courage passif qu’il déploya sous la terreur et la verve pleine de gaîté avec laquelle au sortir de prison et se voyant à peu près ruiné îl chansonnait la misère du citoyen Mancini. — Après cela, il faut bien dire que, pour tous ces « vaporeux » du XVIIIe siècle, passer par la terreur, c’était vraiment passer par les grands remèdes.
  2. Mme de Gisors, que le marquis de Mirabeau taquine de temps en temps à cause de sa dévotion, qu’il trouve excessive, mourut jeune encore en 1785, avec une telle réputation de piété et de charité qu’un célèbre prédicateur du XVIIIe siècle, M. de Beauvais, évêque de Senez, lui fit une large part dans son oraison funèbre du curé de Saint-André des Arcs, Claude Léger. Il la nomme une nouvelle Paule, une autre Marcelle. Mme de Cossé-Brissac, que Walpole nous point jolie et pleine de gaîté et d’entrain, eut la douleur de perdre son mari dans des circonstances affreuses, car il fut massacré à Versailles en 1792 avec d’autres prisonniers ramenés d’Orléans.