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Quant à la duchesse de Nivernois, elle en parle souvent aussi, toujours convenablement, mais froidement, sans que jamais son nom soit accompagné de ces qualifications affectueuses ou louangeuses qu’elle emploie à l’égard des autres personnes que nous venons de citer. Lorsqu’on voit ce ton de froideur se maintenir pendant dix-sept ans, on peut affirmer sans scrupule que les rapports n’étaient pas très sympathiques ; toutefois ils n’étaient pas non plus hostiles. Il est visible que la duchesse de Nivernois trouve dans l’amie de son mari une auxiliaire utile qui la dispense de s’occuper elle-même de distraire celui-ci de ses vapeurs, et dont l’influence apaisante tourne en définitive au profit de son indépendance et de sa tranquillité. Outre que l’âge des trois personnes ne laisse plus guère de place et un sentiment d’amertume jalouse, la duchesse de Nivernois est dès cette époque engagée dans la voie d’une piété austère où son mari ne la suit pas. Ce n’est plus la brillante Délic de 1742 ; Walpole, suspect à latérite d’exagération en cette matière, la qualifie un peu brutalement en 1766 un « fagot d’église. « Il écrit qu’elle dépasse en babil le duc de Newcastle, et que Mme de Gisors, sa fille, dépense l’éloquence de M. Pitt dans la défense de l’archevêque de Paris, ce qui veut dire que ces deux dames sont très activement engagées dans les querelles du parlement avec le vertueux, mais intraitable Christophe de Beaumont. La correspondance de Grimm les accuse de son côté d’avoir en 1778 excité l’archevêque de Paris à refuser à Voltaire la sépulture ecclésiastique. Si cette assertion est fondée, on comprend aisément que le duc de Nivernois, homme circonspect en matière religieuse comme en toute autre, a dû souffrir plus d’une fois du zèle ardent de sa femme et de sa fille[1].

Si l’on en croit Walpole, ce serait la crainte de ces deux dames

  1. Il a dû en souffrir d’autant plus qu’à l’Académie, par exemple, il représentait avec quelques-uns de ses confrères une sorte de juste milieu entre le parti des philosophes et le parti des dévots. C’est parce qu’il aimait ce rôle de conciliateur que l’Académie le choisissait volontiers pour son représentant dans les occasions où il s’agissait de défendre la liberté de ses élections contre la cour. Il se montra l’avocat respectueux, mais zélé, de l’indépendance académique contre Louis XV, lorsque le royal, amant de Mme Du Barri imagina, en 1772, sous l’influence d’un autre puritain de même espèce, le maréchal de Richelieu, de refuser son approbation au choix de l’abbé Delille et de Suard, comme n’offrant pas de suffisantes garanties quand aux mœurs et à la religion.