Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui ne pouvait pas continuera vivre sous le même toit que sa belle-fille, s’arrangeait de celle qui lui succédait, et qui venait s’établir auprès d’elle à la campagne pour la consoler de l’absence de son fils.

Dès l’année suivante, l’amitié de Mme de Rochefort pour Mme de Pailly est devenue une vraie passion. Citons seulement ce passage d’une lettre adressée par elle en juillet 1763 de Saint-Maur, où elle est avec le duc de Nivernois, à Mme de Pailly, qui se trouve au Bignon avec le marquis de Mirabeau. « Embrassez le gros Merlou[1] bien tendrement au nom des deux amis de Saint-Maur, ils méritent, je vous assure, les sentimens des deux amis du Bignon ; on pourrait, je crois, parcourir la terre sans trouver quatre personnes aussi véritablement unies. Cette pensée fait tout mon bonheur. »

Ce rapprochement si vif entre les deux amis de Saint-Maur et les deux amis du Bignon est d’autant plus significatif comme induction relativement à M. de Nivernois et à Mme de Rochefort que celle-ci ne peut se faire illusion sur le caractère de la liaison des deux amis du Bignon. Ce n’est pas que, même de la part de ces derniers, il y ait infraction absolue à la règle de convenance établie alors et constatée par Walpole sur la prohibition de tout autre vocabulaire que celui de l’amitié ; mais le vocabulaire du marquis de Mirabeau est beaucoup plus transparent que celui de Mme de Rochefort et du duc de Nivernois. Par exemple, s’il arrive à Mme de Pailly de se préoccuper du qu’en-dira-t-on et d’abréger son séjour au Bignon, c’est précisément à Mme de Rochefort que le marquis s’adresse pour la prier d’intervenir. « Frondez un peu la poule noire, lui dit-il, sur ses bienséances enfarinées qui lui prohibent la résidence continuée dans une maison dont la maîtresse a quatre-vingts ans et le fils de famille cinquante. » — « Ce sera donc demain, mon cher ami, répond Mme de Rochefort, que j’aurai ma poule blanche, j’en suis en vérité bien aise, toute noire que vous me la faites ; j’en serai quitte pour la savonner, et j’ai vu que quelquefois cela réussissait. » C’est en effet elle qui savonne la poule noire quand elle a des vapeurs, car elle en a aussi, c’est le mal du siècle, et, quand elle tourmente un peu trop le marquis son serviteur, Mme de Rochefort pousse même la complaisance

  1. Mme de Rochefort avait un chat qu’elle aimait beaucoup et qui s’appelait Merlou ; elle avait imaginé de donner ce sobriquet au marquis de Mirabeau. Dans ce monde-là, on aime beaucoup les sobriquets : ainsi chez Mme de Nivernois on appelle le marquis le Léopard, le duc de Nivernois s’appelle je ne sais pourquoi lord Cavendish, ou encore (ce qui est plus clair) le musicien de la rue de Tournon, où était son hôtel. On nomme aussi parfois Mme de Rochefort Mme Merlou ; quant à Mme de Pailly, comme elle était habituellement vêtue de noir, on la nomme tour à tour la chatte noire ou la poule noire. Mme de Rochefort l’appelle aussi quelquefois la poule blanche.