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jusqu’à intervenir dans les arrangemens de Mme de Pailly avec son vieux mari (elle avait un mari plus âgé de quinze ans que le marquis de Mirabeau et qui habitait la Suisse). Ces arrangemens ont pour but, dit-elle, d’assurer la liberté de son amie. Le duc de Nivernois de son côté fait obtenir une pension à Mme de Pailly, fille d’un officier des gardes suisses. Dans toute cette correspondance, Mme de Pailly est présentée comme une belle personne, plus jeune que Mme de Rochefort, douée d’un embonpoint qui dépasse un peu la juste mesure[1], mais très attrayante. « Ses lettres, dit en parlant d’elle Mme de Rochefort, sont l’image de sa physionomie ; elles sont pleines de sentiment et de grâce. » Elles méritent en effet cet éloge. Son ton envers la dame du Luxembourg est celui d’une personne très enthousiaste et très reconnaissante, avec une nuance de respect qui tient à la différence des âges et de la condition sociale. Quoique Mine de Pailly soit bien née, comme l’on disait alors, elle n’appartient point, comme Mme de Rochefort, à une grande famille ; elle est donc caressante avec déférence, mais très aimable et très habile. Donnons seulement un échantillon de ses lettres.


« Du Bignon, 14 juillet 1763.

« Le gros Merlou est dans son cabinet, madame la comtesse, qui écrit à Saint-Maur, à ce qu’il dit, et il prétend en avoir le privilège exclusif les jeudis. Je ne peux pas m’y soumettre. Vos lettres me causent toujours une émotion si douce, une sorte d’inquiétude, ou plutôt de désir si vif de vous aller chercher, qu’en vous écrivant je me satisfais au moins un peu. Non que je veuille vous entretenir de mes sentimens, je me flatte que ce soin serait superflu ; mais il faut bien que je vous dise combien je suis touchée de cette continuité de bonté avec laquelle vous vous occupez sans cesse de mes intérêts. Vous savez bien qui je sous-entends avec vous dans mes effusions de la plus vive et de la plus tendre reconnaissance, il n’est pas besoin de le nommer, on ferait une belle énigme des qualités morales dont son nom serait le mot, comme son nom serait le texte d’un beau traité sur les vertus. (Après avoir parlé ici assez longuement de la santé du duc de Nivernois, Mme de Pailly passe au marquis de Mirabeau, en disant :….) Mais qui est-ce qui est assez heureux pour pouvoir tourner sa vie d’une manière qui lui convienne en tout point ? Ce n’est pas notre ami Merlou au moins. Malgré toute la volonté qu’il y met, il ne peut pas se défendre d’être atteint par les peines dont on

  1. Elle se moqua elle-même de son embonpoint en écrivant du Bignon : « Ils chantent ici les fontaines, les prés, les bois, les coteaux, les ormeaux, les plaisirs et les grâces. J’en suis une, et des plus étoffées ; ce n’est pourtant pas faute d’exercice : dès le matin, je cours ; mais c’est que je mange de si bon appétit, je dors d’un si bon somme, je ris de si bon cœur. »