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exprimées d’une façon différente. Il va sans dire que tous ces couplets célèbrent l’esprit, la grâce et la bonté de la même personne. Le peintre reconnaît alors que ce portrait lui a déjà été commandé par un jeune abbé, et que c’est précisément celui qu’il vient de finir ; il lève le rideau qui couvre son chevalet, et chacun des personnages s’écrie : « C’est ma Thérèse, » c’est-à-dire c’est Mme de Rochefort, dont le portrait a été en effet commandé par un de ses amis, l’abbé de Luzine. Après le proverbe, on se met à table, et on chante au dessert un duo et une chanson. On rentre ensuite dans le salon, où l’on voit paraître Tex-secrétaire de l’ambassade du duc de Nivernois à Londres, M. Drumgold, déguisé en bouquetière des rues, portant une corbeille pleine de bouquets qu’il distribue aux assistans en leur chantant des couplets dont l’auteur est encore le duc de Nivernois. Comme chaque couplet porte l’indication de la personne à laquelle il est adressé, nous apprenons ainsi la composition de l’assemblée. Il y a d’abord cinq grandes dames, la comtesse de Rochefort, la maréchale de Mirepoix, la duchesse de Cossé-Brissac, Mlle de Brissac, sa fille, et Mme d’Héricourt. Il y a ensuite une dame vivant en adultère avec le financier, poète et graveur Watelet, celle qu’on appelait la meunière du Moulin-Joli, Mme Le Comte[1] ; après celle-ci vient Mme de Pailly, dont la situation irrégulière n’est pas encore aussi notoire que celle de Mme Le Comte, mais l’est cependant assez pour qu’on puisse s’étonner de la voir placée entre Mlle de Cossé-Brissac et l’archevêque de Bourges, accompagné lui-même de l’évêque de Périgueux, des abbés de Luzine et de Bonneval ; le marquis de Brancas, le duc de Nivernois, les acteurs et les actrices de la Comédie-Italienne, ont également chacun leur bouquet et leur couplet.

Ces couplets caractérisent le temps d’une manière assez originale pour que l’on en cite quelques-uns, par exemple celui que la bouquetière adresse à l’archevêque de Bourges :

Voyez-vous ce gros patriarche ?
Graisse par-ci, graisse par-là.
Le bon Noé sorti de l’arche
N’était pas frais comme cela.
Il s’en va dans son diocèse,
Il y fera ce qu’il faudra,
Ce qu’il faudra, ce qu’il voudra ;
Mais il regrettera Thérèse ;
Il fera là ce qu’il faudra,
Puis à Thérèse il reviendra.
  1. Le Moulin-Joli était une très agréable résidence sur les bords de la Seine, où les plus grandes dames allaient visiter Watelet et sa meunière.