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événemens de Madrid, le mouvement prit un caractère politique. Par une proclamation du 27 décembre 1868, le chef qui le dirigeait, Carlos Manuel de Cespedes, essaya d’enflammer les esprits pour la cause de l’indépendance de l’Ile et de l’abolition de l’esclavage. Arrivé au mois de janvier 1869 pour remplacer le général Lersundi et précédé d’une grande popularité, le général Dulce tâcha d’abord de rallier les dévouemens par des mesures libérales ; mais la violence de l’insurrection, aidée peut-être par un puissant voisin des Antilles, l’a forcé de revenir au régime de la censure et des conseils de guerre, et de demander des renforts à la métropole malgré la présence de 25,000 soldats et l’appel de 30,000 miliciens. La crise est décisive, et il est impossible de savoir si la raison sera chargée de terminer la besogne commencée par la violence. Il est intéressant de rappeler au moins les causes qui ont rendu cette crise inévitable, de signaler les moyens qui seraient de nature à la terminer heureusement, et d’indiquer les conséquences, trop faciles à pressentir, de ces graves conjonctures.

Si les vœux des amis de la civilisation européenne sont exaucés, l’Espagne reprendra son rang parmi les nations, elle se relèvera, elle conservera ses colonies, et le premier acte d’un gouvernement juste sera la réforme du régime intolérable qui pèse sur ces terres habitées par une population nombreuse, intelligente, instruite, fière et mécontente. Si l’Espagne au contraire continue à s’abaisser dans un tourbillon confus de discordes civiles et d’ambitions militaires, le sort des colonies ne pourra pas dépendre plus longtemps des convulsions de la métropole, et les États-Unis n’auront qu’à tendre la main pour recueillir un héritage que l’Europe ne sait plus conserver. Dans l’un comme dans l’autre cas, l’abolition de l’esclavage sera inévitablement proclamée, et on se sent un peu consolé en voyant du moins la liberté sortir de tant de ruines, en apercevant enfin le terme de cet opiniâtre fléau de la servitude qui souille encore la reine des Antilles, la noble contrée sur les rivages de laquelle Christophe Colomb repose enseveli, qu’il découvrait le dimanche 28 octobre 1492, et qu’il saluait « la terre la plus belle qu’aient jamais vue les yeux des hommes. »


I

La question des réformes, première origine de l’insurrection, ne se présente pas tout à fait à Cuba et à Porto-Rico dans les mêmes conditions qu’au sein des autres sociétés coloniales. Il y a deux différences notables. En premier lieu, la liberté des noirs est inséparable de la liberté des blancs et de ce qu’on peut appeler la liberté des choses ; il faut abolir à la fois la servitude qui pèse