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Lorsqu’en 1840 le gouvernement français consulta timidement les conseils coloniaux sur les moyens de faciliter le rachat des esclaves au moyen du pécule, le conseil de la Martinique répondit que l’intervention, du gouvernement, était « illégale ; » le conseil de la Guadeloupe déclara que l’esclavage « était un bienfait, » et le conseil de Bourbon que l’intervention du gouvernement était « illégale ; » le conseil de Bourbon affirma qu’il était « l’instrument providentiel et permanent de la civilisation. » La loi si modérée de 1845, due aux travaux de la commission présidée par M. le duc de Broglie, et qui se bornait à diminuer le nombre de coups de fouet qu’un esclave pouvait recevoir, à lui assurer le droit de posséder ce qui lui appartient et de se racheter avec ce qu’il gagne, fut déclarée par les mêmes conseils odieuse et funeste. Vingt-deux ans auparavant, le 9 juillet 1823, lord Bathurst, secrétaire d’état des colonies anglaises, avait ordonné aux gouverneurs de soumettre aux législatures locales quelques améliorations dans le régime des esclaves ; ces mesures avaient été repoussées par dix-huit colonies sur vingt, et il fallut les imposer en 1831, après huit années d’attente infructueuse. En 1857, le gouvernement hollandais proposa aux chambres la loi qui devait émanciper si pacifiquement les esclaves de Surinam et de Curaçao. Des plaintes et des menaces répondirent à ses intentions généreuses. C’est encore par l’initiative et par l’autorité du gouvernement de Portugal que l’esclavage vient d’être aboli dans les possessions de ce pays en Afrique, aux termes d’un récent décret du 25 février 1869, proposé par le marquis de Sa de Bandeira, l’évêque de Vizeu et M. J. Latino Coelho.

L’Espagne nous réservait un autre spectacle. Le gouvernement, soit avant, soit après la révolution de 1868, n’a rien tenté, rien osé. Le ministre d’outre-mer, nommant une commission en 1865, ne propose pas l’abolition, ne prononce même pas le nom de l’esclavage, vaguement désigné sous le terme de « question épineuse, » et ce sont les colons, les maîtres d’esclaves, qui réclament hautement la fin de la servitude « pour l’honneur de la monarchie espagnole. » Le gouvernement né de la révolution de 1868 n’a pas le courage d’abolir l’esclavage. Le président du comité de constitution, M. Olozaga, qui avait été président de la société fondée à Madrid pour l’abolition de l’esclavage, n’introduit dans le projet de constitution aucune déclaration contraire à la servitude. Le maréchal Serrano et le général Dulce semblent avoir oublié les dépositions qu’ils ont faites à l’enquête de 1867. Le nouveau pouvoir ne sait pas être plus équitable que l’ancien envers les colonies. La censure, après avoir été un moment suspendue, a été récemment rétablie. Sous le nouveau régime, les habitans de Cuba et de Porto-Rico ne sont pas beaucoup plus à l’aise que par le passé pour exprimer leurs opinions. Sans doute il y aura aux certes des députés des deux îles, et c’est là