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emancipados, les capitaines-généraux, auxquels ils sont remis comme à un tuteur, ont imaginé depuis 1854 de vendre les services de ces Africains libres en frappant le contrat, qui est fait pour cinq ans et qui est renouvelable, d’un impôt mensuel de 8 à 4 piastres selon l’âge. Encore les esclaves sont-ils protégés par quelques lois ; censés libres, les emancipados ne peuvent pas invoquer ces lois. Quelquefois, quand un esclave meurt, on déclare la mort de l’émancipé, qui prend désormais le nom et le sort de l’esclave, ou bien les concessionnaires revendent à leur tour les services de ces prétendus êtres libres. Les statistiques en portent le nombre à 4 ou 5,000 seulement ; il n’est pas un colon qui ne suppose le vrai chiffre quatre ou cinq fois plus considérable.

Outre ces émancipés, qui n’en ont que le nom, il y a dans les Antilles espagnoles d’anciens esclaves qui sont parvenus à se racheter, et une disposition excellente des règlemens permet à l’esclave de se libérer peu à peu, pourvu que chaque à-compte payé à son maître ne soit pas moindre de 56 piastres. Il est dit alors coartado de tant de piastres, et il ne peut plus être vendu pour une somme supérieure à celle qu’il doit ; il peut changer de maître ou travailler hors de la maison de celui-ci en lui payant par jour 67 centimes par 100 piastres encore dues sur son rachat. Toutefois ce pauvre homme qui à force de bras nage vers le rivage de la liberté, à combien d’entraves n’est-il pas encore exposé ! S’il change de maître, il paie d’énormes droits au fisc. S’il devient moins vigoureux, s’il baisse de prix, il lui faudra néanmoins acquitter la somme fixée à l’époque où il était dans toute sa vigueur. Enfin cette fraction de liberté si chèrement payée, la transmet-il à sa femme, à ses enfans ? Nullement, pas même à l’enfant qu’il a légitimement lorsqu’il est déjà la moitié ou les trois quarts d’un homme libre. Encore un détail odieux. Le fouet, qui n’est pas permis pour les Chinois, est permis pour les Africains : le règlement de 1842 n’autorise que vingt-cinq coups, sans effusion de sang ; mais qui donc est là pour compter le vingt-sixième coup et voir si le sang coule ? Qui donc est là pour constater la haine que chacun de ces coups amasse au fond des cœurs outragés ?

Il existe en tous lieux une loi morale supérieure qui châtie l’auteur d’un mal par ce mal lui-même. Interrogez les hommes de bonne foi : ils avoueront que les habitudes de dureté, de paresse et d’injustice, inséparables de l’esclavage, ont pour conséquences, à Cuba comme partout ailleurs, les consciences corrompues, les fortunes obérées, la religion méprisée, la magistrature suspecte, les mœurs dissolues, l’agriculture arriérée, le patriotisme énervé, la population amoindrie. Tel est le résumé du Rapport des délégués