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mêler à des Chinois dégradés ou à des esclaves, et c’est la liberté seule qui peut donner aux Cubains l’espoir d’un courant d’émigration facile à attirer vers des contrées si belles.

Reste à examiner quel profit les Cubains tirent de l’esclavage. Est-il bien certain d’abord que l’usage des esclaves soit le même dans toutes les industries ? Dans les villes, où les domestiques même commencent à être remplacés par des blancs et par des Chinois, il n’y a que 75,000 esclaves sur 500,000 habitans. C’est dans les sucreries et dans les cafétaux que la population esclave se concentre de plus en plus. L’élément libre entre déjà pour cinq sixièmes dans le total des bras employés par les fermes et les plantations de tabac[1]. L’île de Cuba, particulièrement dans les régions appelées Vuelta-Abajo, Vuelta-Arriba, Partidos, produit par an environ 600,000 tercios de 40 kilogrammes, soit 24,000 tonnes d’un tabac célèbre dans le monde entier ; elle consomme un tiers de cette production, et deux tiers, l’un en feuilles, l’autre tordu en cigares ou cigarettes, sont exportés sans que l’on puisse extraire un chiffre exact de la Balanza del commercio, parce que la moitié de la sortie s’opère en fraude. Le tabac a des crus renommés comme les vins de France ; mais, sur les vegas de punteria ou terres de réputation, comme Flor de Tabacos, Cabañas, Figaro, il ne se récolte pas plus de 3 à 4,000 tercios. La plupart des vegas sont affermées par petits lots à des familles qui les cultivent elles-mêmes avec quatre ou cinq nègres. Les mauvaises habitudes engendrées par l’esclavage exercent leur détestable influence sur la culture, qui épuise la terre et rapporte peu, sur la fabrication, ruinée par le gaspillage de la matière première et l’absence de comptabilité, enfin sur le commerce, entaché de fraude et toujours exposé à des alarmes qui paralysent le crédit. Les vegueros, à part quelques grands exploitans, sont presque tous gênés. Le tabac n’emploie que 17,000 esclaves avec plus de 100,000 travailleurs libres. La proportion des esclaves est encore de 25,942 contre 7,499 ouvriers libres dans les cafétaux ; mais elle diminue chaque jour, et la

  1. Voici la distribution de la population des campagnes de Cuba :
    Blancs Libres de couleur Esclaves
    Sucreries 41,601 3,876 172,671
    Cafétaux 5,682 1,817 25,942
    Prairies 73,781 14,780 37,734
    Tabac 75,058 28,527 17,675
    Fermes 178,185 23,026 24,850
    Culture maraîchère 57,713, 27,116 6,918
    Divers 7,999 1,507 2,424
    Total 440,019 100,649 288,214