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Aberdeen écrivait : « Les seules personnes qui portent la main à la continuation de la traite sont les officiers de la couronne d’Espagne. » Cette violation honteuse des traités et de la morale n’a cessé que depuis peu de mois.

Les plus mauvais gouvernemens sont partout aussi les moins économes. Le budget de l’année 1865-1866, sur 159,288,365 francs de recettes, se solde par un excédant d’à peu près 25 millions ; cet excédant, d’après le décret du 25 mai 1865, est affecté savoir : 14,997,500 francs à l’amortissement des billets du trésor, 10 millions de francs à des remboursemens à la banque de La Havane pour avances au gouvernement. C’est dire qu’il sert à payer des dettes de l’état, qui applique déjà 131 millions à ses dépenses dans la colonie. Ces dettes de l’état, évaluées à plus de 100 millions, ont-elles été créées dans l’intérêt de Cuba ? Nullement. Elles ont été contractées pour faire face aux embarras financiers du gouvernement de Madrid. Voici comment les choses se passent le plus souvent. Dans les momens de crise financière, le gouvernement vend pour argent comptant à des maisons de banque des traites sur le trésor de Cuba, traites qui tombent sur la colonie à des momens souvent si désastreux que l’escompte monte jusqu’à 15 et 18 pour 100 à cause de la double nécessité de payer ces traites, d’emprunter, si le trésor est vide, et d’acheter de nouvelles traites sur Londres ou sur Paris pour rembourser les banquiers de leurs avances. De là des faillites et des troubles inopinés dans toutes les affaires. Sous le coup de ces exigences, la banque de La Havane a dû. suspendre ses paiemens en espèces le 22 décembre 1866, les autres banques l’ont imitée forcément, et le gouvernement, corrigeant l’arbitraire par l’arbitraire, a autorisé la banque à ne pas rembourser ses billets au porteur. La dette du gouvernement envers la banque dépasse le double du capital de cet établissement (25 millions de francs), et l’émission des billets, limitée au double aussi par la loi, a été portée au triple du capital par un décret du gouvernement local. La même banque, encouragée aux abus, distribuait à ses actionnaires des dividendes de 15 et 20 pour 100 pendant que ses billets, vrai papier-monnaie avec cours forcé, subissaient un escompte de 5 pour 100. En 1868, une opération pour un emprunt de 50 millions de francs avec la garantie des revenus de Cuba avait été contractée entre le ministre d’outre-mer, M. Marfori et la maison Bishoffsheim et Goldschmidt, qui avait déposé en garantie 2,500,000 fr. Ces banquiers ayant voulu, avant de payer, s’assurer de la légalité de l’emprunt, M. Marfori répondit en confisquant le dépôt de garantie. Il y a un procès pendant. Il va sans dire que les 50 millions n’étaient pas destinés au service des Cubains.