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Pour subvenir à un magnifique budget de 160 millions, il faut à la fois des richesses considérables et des impôts bien lourds. A Cuba, tout est taxé. Outre les impôts sur la propriété foncière, il y a des tarifs douaniers très élevés et très variés ; il y a eu jusqu’en 1867 un droit d’alcabala de 6 pour 100 sur la vente des esclaves, en sorte que, si un esclave avait changé de maître huit fois dans sa vie, le fisc avait prélevé 48 pour 100 de sa valeur vénale. La farine est soumise à un régime vraiment exorbitant, l’île étant obligée de se fournir de farines espagnoles, qui arrivent souvent avariées et toujours très chères après un si long voyage. Il n’est pas rare que les farines des États-finis, très bonnes et si faciles à apporter avec un fret modéré, fassent le voyage d’Espagne pour revenir à Cuba. Le pain et le biscuit, dont les noirs ne sont pas moins friands que les blancs, sont presque toujours chers, et deux fois par jour chaque famille, en prenant son repas, maudit la loi qui lui impose un pain coûteux et de qualité médiocre. Dans l’enquête de 1867, le gouvernement avait assez naïvement posé cette question : « quelles sont les causes du manque constant d’équilibre dans les échanges entre Cuba et l’Espagne ? » Il est clair que l’échange devrait naturellement être favorable à Cuba, puisque la population de la métropole est plus nombreuse que celle de l’île, et puisque les produits de l’île sont plus essentiels aux Espagnols que ceux de l’Espagne ne sont essentiels aux Cubains. Or il n’en est pas ainsi. Le système colonial détruit l’ordre naturel des choses.

Le commerce intérieur à Cuba pourrait devenir très important. L’île est longue on la compare souvent à une langue d’oiseau ; les principaux centres de l’intérieur sont à peu de distance des côtes. La partie centrale pourrait très bien fournir de bestiaux la partie occidentale ; mais les transports sont trop chers, parce que l’île manque presque entièrement de routes et de tout ce réseau de la viabilité rurale que la construction des chemins de fer ne peut remplacer. Aucune application plus utile des excédans de budget ne pourrait être faite par un gouvernement soucieux des intérêts locaux. Les recettes de Cuba sont malheureusement affectées à solder l’arriéré de la métropole. « Avouons, disait le général Serrano en sa déposition à l’enquête de 1867, que dans les dernières années on a abusé des finances de Cuba, ce qui a provoqué en grande partie la crise dont souffre l’île, et a mis son trésor dans une situation alarmante. »

Si Cuba paie les dettes de Madrid, comment s’y prendra Madrid pour assurer une indemnité aux propriétaires d’esclaves de Cuba ? La réponse à cette question semble tout à fait insoluble, on doit l’avouer, à moins qu’on ne repousse l’idée d’une indemnité, « Il est