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des gens rigides, dit très bien M. Laboulaye, que révolte le mot seul d’indemnité. Ce n’est pas au maître qu’on la devrait dans leur opinion, c’est à l’esclave. Ce raisonnement excessif ne m’a jamais convaincu. Ce n’est pas l’esclave qui paie l’indemnité, c’est la société ; or la société est plus coupable que l’esclave. C’est elle qui a légalisé, maintenu, souvent même imposé l’esclavage. » On peut ajouter que l’indemnité est moins un remboursement de la propriété perdue qu’une avance au travail salarié qui remplace le travail forcé. Cependant il ne faut pas exagérer le prix des esclaves : il est juste que les propriétaires, après une si longue jouissance indue, supportent une partie de ce prix, et que la colonie, débarrassée d’une cause de désordre, en paie une autre partie.

D’après M. d’Armas, il y aurait à payer 350,000 esclaves à 400 dollars (2,000 fr.) chacun, soit 700 millions de francs. L’indemnité due à Porto-Rico pour 42,000 esclaves, évalués au même taux, serait de 84 millions de fr. Les délégués des deux colonies entendus à l’enquête de 1867 n’ont pas mis en avant des chiffres si exagérés. Ceux de Porto-Rico n’estiment qu’à 100 dollars les esclaves au-dessous de 7 ans ou au-dessus de 60, à 200 dollars ceux de 7 à 15 et de 50 à 60 ans, et à 400 dollars ceux de 16 à 50 ans seulement. Le chiffre total s’élève seulement à 60 millions de fr. pour leur île. Les délégués de Cuba, déduisant aussi les esclaves au-dessous de 7 ans et au-dessus de 60 ans, arrivent à un chiffre de 590 millions. Ces chiffres eux-mêmes sont susceptibles de réduction, ne fût-ce qu’en éliminant les esclaves « de traite, » déjà libres de droit. L’Angleterre a payé seulement 625 fr. par tête, la France 500 fr., la Hollande 450 fr., le Danemark 375 fr. L’indemnité pour les esclaves des États-Unis paraissait impossible à payer : on l’évaluait à 5 milliards ; la guerre est venue qui en a coûté 10, l’abolition a dû être proclamée dans le sang et sans indemnité. Quel que soit le chiffre d’ailleurs, et l’Espagne n’eût-elle qu’à en payer le tiers, ce serait déjà beaucoup trop pour elle. L’Espagne n’est pas assez riche pour être juste, les habitans de Cuba et de Porto-Rico le savent bien : aussi n’attendent-ils pas qu’elle soit moins ruinée ou plus équitable, et ils ont le mérite de proposer des systèmes qui ne coûteraient à l’Espagne le paiement d’aucune indemnité.


III

Je fais honneur des systèmes que je vais exposer aux habitans de Cuba et de Porto-Rico. Tous cependant n’ont pas droit à cet éloge. Il est, surtout parmi les colons d’origine péninsulaire, des théoriciens