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cela le portrait littéral, la simple ressemblance actuelle. On le voit, si bien secouru qu’il pût être par les circonstances au milieu desquelles il se produisait, M. Lehmann devait en bonne partie ses premiers succès à lui-même, à sa propre sagacité, aux prudentes inclinations de son esprit. Ajoutons qu’un travail assidu avait fortifié en lui ces dispositions naturelles, et que le peu d’années qu’il venait de passer en France avaient été employées de manière à le munir d’une solide instruction.

Né à Kiel en 1814, pendant un séjour momentané de sa famille dans cette petite ville, puis élevé à Hambourg, où son père exerçait la profession de peintre en miniature, M. Lehmann, jusqu’à l’âge de dix-sept ans, n’apprit de l’art que ce que pouvaient lui en enseigner les modestes exemples domestiques, quelques tableaux hollandais ou flamands conservés dans des collections particulières et quelques essais de peinture ou de dessin d’après nature accomplis dans l’un de ces humbles gymnases où l’on trouve, à défaut de professeurs, des modèles vivans et des camarades. Aussi, quelle qu’ait été la durée de cet apprentissage en Allemagne, quelque commencement même de sérieuse éducation pittoresque qu’aient procuré au jeune artiste plusieurs jours passés à Berlin ou plutôt au musée royal, ses études ne datent-elles, à vrai dire, que de l’époque où il vint se fixer à Paris pour se mettre sous la direction de M. Ingres. Je me trompe ; en arrivant ici, il n’avait encore sur le choix d’un maître aucune détermination arrêtée, et, comme Flandrin, qui un peu auparavant avait dû presque au hasard d’une rencontre l’indication de la discipline à suivre, M. Lehmann ne se décida que par déférence pour les avis d’un tiers. N’est-il pas étrange, soit dit en passant, que les deux élèves de M, Ingres qui ont le plus pieusement recueilli ses enseignemens aient obéi d’abord, en venant à lui, à un sentiment fort indépendant de l’enthousiasme, et qu’ils aient simplement recherché les leçons matérielles d’un expert, des leçons extérieures en quelque sorte, là où ils allaient se dévouer pour jamais à la cause d’un maître, au souvenir profond de ses exemples, à la défense passionnée de sa foi ?

Voilà donc M. Lehmann introduit auprès de M. Ingres, grâce à l’intervention affectueuse d’un autre artiste éminent, François Gérard, à qui un membre de la famille du nouveau-venu était allé demander conseil. M. Lehmann d’ailleurs avait, le jour même de son arrivée à Paris, rencontré chez M. Hittorff l’homme dont il était, à son insu, destiné à devenir l’élève, et, par un singulier surcroît de bonne fortune, il avait vu dans le même salon deux des peintres les plus célèbres de l’époque, Guérin et Léopold Robert. N’y avait-il pas dans cet heureux hasard, dans l’impression qu’il devait produire et les souvenirs qu’il devait laisser, quelque chose