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revendiquée par les éditeurs ? Le gouvernement a fini sans doute par en avoir assez de ces embarras qu’il s’était créés à lui-même ; il a levé toutes les interdictions, et il se trouve aujourd’hui que ce livre interdit, poursuivi, saisi sans jugement, n’est après tout qu’une œuvre historique sobre, éloquente, écrite d’un style ferme et nerveux, abondante en détails nouveaux, où il n’y a pas même un mot de politique, à moins que ce ne soit encore de la politique de réveiller le nom de Condé. Le gouvernement n’aurait-il pas mieux fait de commencer par où il a fini, et n’a-t-il pas devant lui, dans cette singulière aventure, un exemple significatif de ce que peuvent ces coups de tête discrétionnaires ? On prétend qu’au début de cet imbroglio semi-politique, semi-littéraire, un ami de l’historien des Condé, se trouvant en présence d’un haut fonctionnaire de l’empire, lui aurait rappelé la tolérance bienveillante du gouvernement du roi Louis-Philippe pour les écrits du prisonnier de Ham. « Oui, aurait répondu sans façon ce fonctionnaire, et vous voyez où cela vous a conduits. Nous n’avons pas envie qu’il nous en arrive autant. » C’était un mot assez leste couvrant un acte de bon plaisir administratif. Ce n’est point par ses écrits que l’empereur est arrivé à sa prodigieuse fortune, et ce n’est pas pour avoir laissé au prisonnier de Ham la liberté de publier des livres ou des articles de journaux que le régime de 1830 est tombé. S’il n’y avait eu que ces raisons, l’empereur ne serait pas aux Tuileries, et M. le duc d’Aumale n’écrirait pas dans l’exil. Il y a pour tous les régimes une bien autre manière de se compromettre, c’est de croire qu’ils peuvent tout, même quand ils laissent une apparence de liberté, et puisqu’on parle de progrès, le vrai progrès pour le gouvernement, ce serait de revenir sans réticence et sans détour à une politique dont le premier et le dernier mot est le respect de tous les droits, de tous les contrôles, de toutes les garanties, ce serait de commencer par interroger la nation avec une virile confiance, sans prétendre lui dicter la réponse qu’elle doit faire. C’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui, c’est la question qui va se débattre dans les élections prochaines.

La lutte est maintenant engagée un peu partout, et elle va s’animer de jour en jour ; elle prend une vivacité singulière, surtout à Paris, où se concentrent naturellement toutes les ardeurs et les fièvres d’opinions. Que sortira-t-il de ce scrutin du 23 mai ? On peut à peine le pressentir. Certainement, si le pays pouvait parler dans toute la sincérité de ses instincts et de ses désirs, la réponse ne serait pas douteuse ; il dirait que ce qu’il veut, c’est l’élargissement progressif des institutions, une responsabilité mieux définie des agens du pouvoir, des garanties plus efficaces contre l’excès des entreprises chimériques et des dépenses ruineuses, une participation plus directe, plus décisive, à l’administration de ses propres affaires ; il répondrait qu’il veut la liberté pour tous, rien que la liberté, et, si tous les partis indépendans avaient assez de patriotisme pour s’inspirer de cette disposition intime du pays, ils se