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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


pour former autour de l’archevêché des gardes de jour et de nuit. « Il faut bien veiller sur notre père, disait le peuple, puisque ses geôliers ne le gardent pas, et qu’on laisse échapper ses assassins. »

La solennité de la Pentecôte arriva sur ces entrefaites, et la foule s’amassa dans le quartier de Sainte-Sophie par groupes plus compactes et plus menaçans. On s’en alarma au palais impérial, ou l’on feignit de s’en alarmer et de croire que la vie de l’empereur était en danger. De connivence avec l’impératrice, les quatre évêques, instigateurs de tous les mauvais conseils, tentèrent une suprême démarche près d’Arcadius. « Prince, lui dirent-ils (l’histoire nous a conservé leurs paroles), tu as été constitué empereur par Dieu même pour que tu ne sois soumis à personne, que tous au contraire t’obéissent, et qu’il te soit permis de faire ce qui te plaît. Ne sois pas plus clément que les prêtres, plus saint que les évêques. Nous te l’avons dit en présence de tout le monde : que la déposition de Jean retombe sur nos têtes ! réfléchis à cela, prince auguste, et n’accomplis pas notre perte à tous, afin d’épargner un seul homme. » Ils faisaient résonner pour la seconde fois à ses oreilles le seul argument qui lui touchât le cœur, leur responsabilité devant la justice divine ; il n’avait plus peur, et se décida.

La Pentecôte tombait, en cette année 404, au 5 du mois de juin ; quinze jours après, à l’aube naissante, de forts détachemens de troupes prenaient position en divers lieux autour de l’église et de l’archevêché. Vers midi ou un peu avant, un notaire du prince, nommé Patricius, se présenta devant l’archevêque avec un ordre ainsi conçu : « Acacius, Antiochus, Cyrinus et Sévérien ont pris sur leur tête la responsabilité de la condamnation. Recommande donc tes affaires à Dieu, et sors d’ici sans délai. » Un tel ordre, qui indiquait par les termes mêmes que les appréhensions d’Arcadius avaient cessé, était clair, nous dit l’historien de cette scène, et ne supportait point de réplique, Jean fit signe à quelques évêques et quelques clercs qui se trouvaient là qu’il voulait passer dans la basilique. « Venez, leur dit-il, prions, et prenons congé de l’ange de cette église. » Entré dans le chœur, il s’y mit en prière, et pendant qu’il faisait ses oraisons, on lui remit une lettre que lui adressait un des principaux de la ville en qui il avait pleine confiance. « Hâte-toi, lui écrivait son ami ; Lucius, cet homme à la face impudente et à l’audace sans mesure, est posté non loin d’ici, dans le bain public, tout prêt à te traîner et te chasser de force, si tu refuses ou si tu diffères ton départ. Or le peuple de la ville est dans une émotion extrême ; hâte-toi de sortir en cachette, de peur qu’il n’y ait collision et effusion de sang entre lui et les soldats. » L’archevêque en effet pouvait entendre distinctement le murmure de la foule retentissant autour de la basilique, comme le bruit d’une mer agitée. Il