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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


lèrent en éclats, et le flot populaire fit irruption avec une irrésistible violence. Rencontrant en face de lui la colonne qui débouchait en sens opposé, ils se heurtèrent, se culbutèrent les uns les autres, et il s’ensuivit une confusion inexprimable. Des monceaux de gens étouffés, écrasés, encombrèrent bientôt la nef et les parties latérales de l’édifice. Les soldats mirent le comble au désordre en faisant usage de leurs armes. On n’entendait dans ce lieu sacré que juremens et malédictions, cris de menace et cris de douleur ; des Juifs et des païens, que la curiosité avait amenés parmi la foule, en prenaient occasion pour blasphémer le Dieu des chrétiens jusque dans son sanctuaire. Il fallut du temps pour que la confusion cessât et qu’on pût tirer de l’église les morts et les mourans. Cependant ce désordre de la terre ne fut pas le seul : tandis qu’on était occupé à se battre, il se formait une de ces tempêtes soudaines, fréquentes en cette saison dans les parages de la Mer-Noire. Poussée vers la ville par un courant venu du nord, elle fondit sur Sainte-Sophie, qu’elle semblait vouloir ébranler jusqu’au faîte. On eût dit que le ciel et la terre s’étaient conjurés pour qu’aucun désastre ne manquât à cette sinistre journée.

La foule se retirait et la basilique était en partie évacuée, quand on vit une grande clarté jaillir subitement du trône d’où l’archevêque faisait ses instructions au peuple, puis des flammes, s’élevant comme des serpens autour des piliers du chœur, gagnèrent en un moment le plancher de l’église et la charpente. Une colonne d’étincelles et de fumée surmonta bientôt l’abside, et, rabattue par le vent, étendit l’incendie à tout le reste de l’édifice. Ce ne fut pas tout : les flammes, sorties de cette immense fournaise et toujours poussées par la tempête vers le midi, atteignirent le palais du sénat et menacèrent même celui de l’empereur, projetant au-dessus de la place comme un vaste pont sous lequel, si l’on en croit les historiens, on pouvait circuler sans danger. Au contact ardent de la flamme, le toit de la curie se liquéfia, et le plomb fondu, découlant par ruisseaux dans l’intérieur du bâtiment, fit éclater les colonnes, les murs de marbre, et calcina les statues. L’or, l’argent, le bronze, tous les métaux amalgamés ne présentèrent plus à l’œil qu’une masse informe ou des laves brûlantes, et l’édifice, privé de support, s’affaissa promptement sur lui-même. Des secours portés à temps garantirent à grand’peine le palais de l’empereur ; quant aux splendides demeures qui formaient les côtés de la place, elles furent toutes réduites en cendres. Ainsi périrent les deux beaux monumens, l’un chrétien et l’autre païen, orgueil de la nouvelle Rome, sans qu’on espérât d’en relever jamais de pareils. La ville entière fut dans la consternation.

Ainsi qu’il arrivait toujours dans ce siècle d’exaltation religieuse,