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fièvre, s’est conservée jeune et fraîche, retrouvant toujours de nouveaux traits moins ardens, mais plus purs, moins téméraires, mais plus aimables. Que dirai-je de l’illustre absent qui plus qu’aucun autre a usé du privilège accordé au génie de joindre l’absurde au sublime, et qui n’a jamais peut-être poussé plus loin l’un et l’autre que dans une œuvre mémorable, trop exaltée et trop oubliée, et qui est sans aucun doute l’une des œuvres les plus étonnantes de notre temps ?

À ces exemples si remarquables s’en ajoute un dont la pensée se présente à tous les esprits. Voici un écrivain qui a débuté dans les lettres il n’y a pas loin de soixante ans, qui a reçu les encouragemens de Mme de Staël, qui déjà jouait un rôle poétique important sous la première restauration, qui pendant les quinze années du gouvernement des Bourbons fut à la fois un publiciste populaire et un professeur éminent, déployant avec une égale énergie son activité dans les luttes de la politique et dans les recherches ardues de la science, qui plus tard, après 1830, passant de l’opposition au pouvoir, se révélait comme l’un des plus grands orateurs politiques de son temps, dépensait chaque jour pendant une lutte de dix-huit ans toutes les forces réunies de l’éloquence et du caractère contre le flot toujours montant de la révolution, et qui enfin un jour était emporté par elle ! Qui n’aurait cru que cette âme haute et passionnée, minée par le travail et vaincue par les événemens, allait plier sous la défaite et s’éteindre dans le désespoir ? Non, il n’en fut rien. Personne ne sait sans doute ce que dans la crise a pu penser et souffrir cette nature d’airain ; mais, le flot passé, nous avons vu reparaître le vieil athlète avec la même sérénité, la même inflexibilité, la même foi en lui-même qu’auparavant. Une existence patriarcale, la vie domestique la plus noble, des amis fidèles, un corps merveilleusement sain qui semble ne rien connaître des infirmités humaines, surtout l’étude, le travail, une ardeur inépuisable pour les grandes choses ont fait à cet homme illustre une vieillesse respectée, presque enviée de ceux qui l’ont vaincu.

Mais comme on ne peut se mêler à la vie sans en affronter les combats, M. Guizot, en revenant prendre part aux luttes contemporaines, a retrouvé dans ses vieux jours, comme au temps de sa maturité, des adversaires ardens, et sans doute l’on ne se tromperait pas beaucoup en supposant qu’il n’en a pas été trop fâché. Les hommes faits aux champs de bataille ne peuvent plus se plaire aux plates et modestes jouissances de la vie contemplative : il leur faut l’odeur de la poudre et le fracas des glaives. Ainsi M. Guizot, après avoir tant souffert des luttes politiques, n’aurait pu cependant revenir paisiblement aux froides contemplations de la science