Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous n’y trouvons rien à redire ; mais ceux qui trouvent dans leur cœur une impression naturelle absolument contraire à celle-là ont le droit de préférer les faibles lumières de la philosophie aux trompeuses clartés qu’on leur propose de si haut.

Pour nous résumer sur les trois propositions fondamentales qui composent la démonstration de M. Guizot, nous accordons la première, mais nous ne pouvons consentir aux deux autres. Oui, il y a des problèmes naturels, universels, indestructibles, et nous considérons comme une chimère la prétention de les abolir dans l’âme humaine, d’en détourner à jamais l’esprit et le cœur de l’homme. Non, il n’est pas vrai que la philosophie soit absolument impuissante dans la solution de ces problèmes, et, si elle l’est, toute théologie l’est également, car on a cent fois démontré que toute religion révélée suppose la religion naturelle. Si je suis incapable de me démontrer qu’il y a un Dieu, comment serais-je capable de me démontrer que Jésus-Christ est Dieu ? Non, il n’est pas vrai que la théologie chrétienne explique ce que la philosophie n’expliquerait pas, car tout l’édifice du dogme chrétien repose sur un postulat inacceptable, la responsabilité sans liberté.

Est-ce à dire que nous méconnaissons la grandeur et la beauté de la théologie chrétienne, et que nous ne voyons dans ses dogmes et dans ses rites que des fictions arbitraires et des superstitions ridicules ? Non, sans doute ; mais ses dogmes et ses cérémonies ne sont pour nous que de grands symboles, dont la valeur est précisément dans les vérités métaphysiques que ces cérémonies expriment et que ces dogmes recouvrent. Pris à la lettre, le dogme du péché originel est, nous l’avons dit, une doctrine barbare : entendu symboliquement, c’est une forte et hardie expression de la solidarité humaine et de cette mystérieuse sympathie qui unit tous les hommes en un seul corps, et les fait tous souffrir des souffrances d’un seul. Entendue à la lettre, la doctrine de l’incarnation est une contradiction dans les termes, et Spinoza a pu dire qu’un Dieu fait homme n’est pas plus intelligible qu’un cercle qui se ferait carré ; mais, entendu symboliquement, ce dogme merveilleux exprime admirablement l’union intime de l’infini et du fini dans la création, la présence intérieure de Dieu dans l’homme et la vie de l’homme en Dieu. Pris à la lettre, le dogme de la rédemption est inadmissible, car comment n’y a-t-il qu’une partie de l’humanité qui ait été rachetée, et pourquoi tant de grandes âmes païennes ont-elles été privées de cette voie de salut, et, si elles ont pu s’en passer, pourquoi n’en serait-il pas encore de même aujourd’hui ? Prise symboliquement, la rédemption a un sens touchant et profond. Qui pourrait nier que le sang du Dieu-homme n’ait racheté l’humanité de bien, des misères morales et physiques ; qui pourrait sans