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n’avait rien à attendre de ses complices. Leurs promesses n’étaient que des pièges. La seule chose qu’il eût à faire pour réparer sa faute était de défendre le principe de l’hérédité dans la famille des Obrenovitch ; pour lui et les siens, comme pour la patrie, le salut était là. Malheureusement, sous l’action impatiente de Voutchitch et de Petronievitch, le parti révolutionnaire avait pris les devans. Une commission parcourait les campagnes, afin d’expliquer aux paysans les termes du statut organique ; c’étaient tous des personnages hostiles à la dynastie de Milosch, et ces commentaires de la loi qu’ils portaient de village en village avaient pour but de préparer les esprits à une transformation de la chose publique.

Il y avait parmi eux des hommes très divisés d’intérêt, mais animés par le même désir de l’inconnu. Écarter les Obrenovitch, c’était ouvrir le champ à tant d’espérances ! Les partisans du fils de Kara-George, les ambitieux qui voulaient fonder une dynastie nouvelle, ceux qui rêvaient je ne sais quelle démocratie en vue de leur intérêt propre, dût la liberté serbe y périr à jamais, étaient associés à cette œuvre ténébreuse. Eurent-ils occasion de se connaître, partant de se défier les uns des autres, ou bien faut-il croire que le nom seul des Obrenovitch, ce nom si cher au peuple des campagnes, opposa aux intrigues des commentateurs de la loi une résistance victorieuse ? Une chose certaine, c’est que Voutchitch et Petronievitch n’osèrent pas aller jusqu’au bout de leur pensée. Ils avaient soutenu que le droit de succession n’appartenait qu’au fils aîné du prince, et que, ce fils mourant sans héritier, le droit se trouvait éteint ; tout en maintenant cette doctrine, ils craignirent de heurter le sentiment populaire, et le sénat élut prince des Serbes le jeune Michel, second fils de Milosch.

Quel fut le résultat de cette belle tactique ? La ruine de l’une des plus précieuses conquêtes de la nouvelle Serbie, la destruction de ce droit héréditaire arraché à la Porte-Ottomane par la politique de Milosch, et qui préparait, qui assurait pour l’avenir la pleine indépendance du pays. En voyant les Serbes renoncer eux-mêmes à un droit si chèrement acheté, le divan de Constantinople éprouva une joie facile à concevoir. Le jeune prince, conseillé par sa nièce, avait beau prendre le titre de Michel Obrenovitch III, ce n’était pas comme héritier de Milosch Obrenovitch, c’était comme élu du sénat qu’il était appelé au trône. Or la victoire que le sénat paraissait remporter en s’attribuant le droit d’élire le souverain était en réalité un désastre pour la Serbie. Les Serbes ayant renoncé eux-mêmes à cette concession d’une principauté héréditaire, la Porte reprenait ses droits ; il lui appartenait désormais d’accorder ou de refuser l’investiture aux élus du sénat, et chaque changement de règne lui fournissait une occasion légale de se mêler des affaires de