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Serbie. La Porte s’empressa donc de confirmer l’élection du prince Michel ; constater solennellement l’élection accomplie par le sénat, c’était constater l’abandon du droit d’hérédité. Il est inutile de dire que le mot de prince héréditaire ne se trouve pas dans le bérat qui donna l’investiture au prince Michel ; une chose plus curieuse à signaler, c’esl qu’il n’y est pas même question d’une souveraineté à vie. La déchéance de la Serbie suivait de près la victoire des ennemis de Milosch.

Le prince Michel était encore à Bucharest, auprès de son père exilé, quand un commissaire turc vint lui apporter le diplôme. Milosch refusa d’abord de laisser partir son fils. Était-ce pour lui un moyen de punir son pays ? Voulait-il soustraire un enfant aux embûches d’une situation si grave, voulait-il aussi protester contre la suppression de ce principe d’hérédité, l’une des plus sûres garanties de l’indépendance nationale ? On devine que tous ces sentimens s’unissaient dans l’âme du prince déchu. Il finit cependant par consentir au départ de son fils. La politique, après tout, ne permet pas qu’on se dessaisisse de son arme, fût-elle à demi rompue. Quand la cognée nous échappe, ce n’est pas le moment de jeter le manche. Le prince Michel se rendit à son poste, et bientôt, accompagné de sa mère, escorté des principaux personnages de la Serbie, il alla recevoir à Constantinople des mains du nouveau sultan Abdul-Medjid son bérat d’investiture. Singulière investiture ! on reconnaît ici la main des hommes qui accompagnaient le jeune prince. C’étaient les amis de Voutchitch, de Petronievitch, par conséquent des ennemis de Milosch et de sa famille. Sous prétexte de faire honneur au jeune prince, ils étaient venus à Constantinople pour livrer au divan une partie de ses prérogatives. Abaisser à tout prix la maison des Obrenovitch, tel était le rôle de ces intègres conseillers. Ils n’eurent pas de peine à réussir. La Porte, tout en reconnaissant la majorité du prince, lui imposa deux tuteurs chargés avec lui de la direction des affaires. Pourquoi des tuteurs, si le prince, à peu près du même âge que le jeune sultan, avait été déclaré majeur et apte à ses fonctions ? Pourquoi ce triumvirat dont ne parlaient ni le hatti-chérif de 1830 ni le statut organique de 1838 ? N’était-ce pas au prince qu’il appartenait de choisir ses ministres ? La nomination de ces deux tuteurs, de ces deux régens associés au prince, était une véritable usurpation de la Porte. Faut-il ajouter que les deux tuteurs du prince Michel étaient choisis de manière à rendre inévitable une révolution nouvelle, c’est-à-dire un nouvel abaissement de la Serbie sous la main des Ottomans ? Les hommes chargés de venir en aide au prince Michel étaient les mêmes qui avaient renversé Milosch, Thomas Voutchitch et Abraham Petronievitch.