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carrière ouverte à tous, avec ses places, ses règles d’avancement, ses salaires et jusqu’à ses pensions de retraite. On y fait son chemin lentement, sûrement, moins au choix qu’à l’ancienneté. C’est une filière qu’on suit, et le jour où l’on s’y engage on est assuré que moyennant un peu de persévérance on arrivera au rang le plus honorable. En un mot, les diplomates sont aujourd’hui de véritables fonctionnaires publics, ils en ont la dépendance et un peu la raideur. Ajoutons à leur louange qu’ils en ont pris aussi les mœurs graves et dignes. Ils sont moins hommes de plaisir et plus hommes d’affaires : avec le temps, ils ont perdu de leurs grâces ; mais ils se sont rangés.

A un autre point de vue, ce qui doit troubler un peu les diplomates, c’est la diminution de leur influence et de leur responsabilité. L’indiscrète ingérence des assemblées délibérantes dans la conduite des affaires, en élargissant le cercle où se débattent les grands intérêts publics, affaiblit d’autant leurs moyens d’action personnelle sur les hommes. L’ascendant s’acquiert plus facilement sur les habitués d’une coterie que sur les membres d’un parlement, et les salons sont un théâtre plus favorable à l’intrigue que les couloirs d’une chambre. D’un autre côté aussi, tout chemin de fer qui s’ouvre, toute ligne télégraphique qui s’établit, raccourcissent encore de quelques anneaux la chaîne qui entrave leur liberté d’allures. Sorte de préfets à l’étranger, c’est aux circulaires ministérielles qu’ils doivent demander leurs inspirations ; à chaque courrier, ils sont tenus de rendre leurs comptes, et, si quelque difficulté surgit, la prudence et l’habitude les portent à s’en référer sur-le-champ au supérieur hiérarchique. Le plus souvent c’est au-dessus de leurs têtes que se passent les événemens ; au lieu de les préparer comme autrefois ; il les reçoivent tout faits, et leur seul privilège demeure d’être les premiers et les mieux renseignés. Si les circonstances n’ont point permis qu’il en fût ainsi, ou si par manque d’égards on ne les a point tenus au fait, leur habileté consiste à ne jamais témoigner la moindre surprise, et à conserver toujours, quoi qu’il leur en puisse coûter, l’apparence de l’homme bien informé. Autrefois c’étaient les ambassadeurs qui compromettaient leurs gouvernemens, aujourd’hui ce sont les gouvernemens qui compromettent leurs ambassadeurs.

Ces réflexions nous venaient à l’esprit en parcourant un livre récent où la comtesse de Minto nous a raconté la vie de son grand-père, l’honorable Hugh Elliot, ministre d’Angleterre à Munich, à Berlin, à Copenhague, dans les dernières années du XVIIIe siècle. Ce qui distingue avant tout ce livre, c’est la bonne grâce et la liberté parfaite avec lesquelles il est écrit. Certains traits du