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caractère d’Elliot et certains détails de sa biographie auraient rendu la tâche assez délicate, si l’on avait expressément tenu à ne pas dépasser les bornes de ce respect un peu conventionnel dans lequel les enfans se plaisent à envelopper comme en un suaire la mémoire de leurs aïeux. Pour se tirer d’affaire, il a fallu un tact et un art infinis. Point de dissimulations inutiles et point non plus de ces détails trop précis qui sont toujours malséans sous la plume d’une femme. Rien de trop explicite, rien de trop clair, et rien non plus qui défende de supposer que les choses aient pu aller parfois un peu plus loin qu’on ne l’indique. Ajoutez à cela une pointe de malice, beaucoup de finesse dans la peinture des caractères, beaucoup de vivacité dans la mise en scène des personnages, et vous aurez l’idée d’une œuvre très agréable. Lady Minto avait à sa disposition des matériaux précieux, et elle a fort bien su en tirer parti.

La vie de ce diplomate de l’ancien régime est en effet curieuse à plus d’un titre, et, à la voir se dérouler devant soi, on goûte un peu le même genre de plaisir et d’attrait qu’on éprouverait à feuilleter un recueil d’estampes qui reproduirait fidèlement les modes et les costumes d’un autre âge. Les anecdotes piquantes du livre de lady Minto, complétées par le témoignage des documens contemporains, vont nous initier à l’existence dissipée et brillante qu’on menait dans les principales villes de l’Europe à la veille du grand ébranlement de la révolution française. C’est d’ailleurs un caractère intéressant à étudier que celui de ce ministre anglais, fier et flegmatique comme les enfans de sa race, brillant et léger comme les enfans de la nôtre, auquel les entraînemens du plaisir n’ont jamais fait oublier les devoirs de sa charge, et qui s’est toujours tiré à son honneur des situations les plus délicates en sachant appeler à son aide l’esprit et la dignité. Ce sont là deux armes dont la trempe est toujours bonne, et dont sous tous les régimes devraient bien se munir les diplomates.


I

Par une faveur exceptionnelle en tout temps et en tout pays, Hugh Elliot, qui n’était que cadet d’une bonne famille écossaise, fut nommé ministre plénipotentiaire à Munich à l’âge de vingt-deux ans. Engagé volontaire dans l’armée russe, il s’était illustré sous les murs de Silistrie par un brillant fait d’armes qui avait attiré sur lui l’attention de George III. Pour l’en récompenser, et pour le dédommager de ce qu’une lieutenance dans l’armée anglaise lui avait été autrefois refusée, ce souverain capricieux en fit du jour au lendemain un diplomate, sans consulter ses aptitudes ni son inclination. La famille