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mesure provisoire, il laissa derrière lui le fidèle Liston, qui devait veiller à l’expédition des affaires. Liston était chargé en outre d’une mission plus délicate, celle de remettre en mains propres à Munich les lettres qui lui seraient expédiées de Londres et de recevoir des mêmes mains des lettres qu’il ferait parvenir en Angleterre. L’échange ne s’opérait pas toujours régulièrement. Pas un courrier ne partait de Munich sans qu’on vînt en cachette apporter au secrétaire d’Elliot une volumineuse enveloppe qu’on recommandait expressément à ses soins ; mais il arrivait fréquemment que deux ou trois courriers de Londres se succédaient sans que Liston eût à effectuer en retour la remise d’aucune lettre. Son embarras était grand quand à chaque fois il lui fallait forger un nouveau prétexte pour excuser la coupable négligence de son chef. Là ne se bornaient pas seulement les services qu’on réclamait de lui ; pour tromper les ennuis de l’absence, et plus encore pour ménager au retour une tendre surprise, on résolut d’apprendre l’anglais, et ce fut encore à l’inépuisable bon vouloir de Liston qu’on eut recours. « Je ne m’en plaindrais pas trop, disait-il, si le mari n’était toujours là, prenant intérêt à la leçon, et me poussant de questions sur la grammaire anglaise. »

Heureux encore si ces seules amours eussent réclamé son entremise ; mais les plus hauts personnages sollicitaient de lui la continuation des bons offices qu’avant son départ Elliot leur avait prêtés. « Voilà, s’écriait Liston avec un désespoir comique, la dix-neuvième lettre que le prince me charge cette semaine de remettre à sa chère Caroline. » Parfois au contraire les lettres du prince se faisaient attendre, et c’était alors la chère Caroline qui venait en personne importuner Liston, beaucoup plus embarrassé qu’elle de se trouver ainsi dans la confidence. Ce n’eût été rien encore, si certaine duègne dont la belle se faisait accompagner ne s’était avisée d’essayer sur Liston le pouvoir de ses charmes surannés, et n’avait entrepris de lui persuader que le rôle d’entremetteur n’était pas le seul auquel il pût prétendre. « Je ne suis pas aussi dédaigneux que vous, écrivait-il alors à son ministre ; mais cela, c’est par trop fort. » Si bon que fût le cœur de Liston, on peut donc supposer qu’il vit sans trop de regrets la catastrophe à la suite de laquelle d’un côté le mari jaloux emmena sa femme à la campagne, et de l’autre le prince, après avoir menacé plusieurs fois de se percer de son épée, partit finalement pour rejoindre son régiment. Plus satisfait encore dut-il être, selon toute apparence, quand il apprit qu’Elliot venait d’être nommé ministre à la cour de Frédéric II. On ne nous dit point l’impression causée à Munich par cette brusque nouvelle ; mais ce que nous savons, c’est que plusieurs années après