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S’il était vrai que le haut clergé demande son mot d’ordre à la Russie, comme le nôtre à Rome, les Grecs savent très bien et répètent sans cesse que ce serait pour eux un extrême malheur de trouver un pape à Pétersbourg après s’être pendant quinze cents ans défendus contre celui qui siège à Rome.

L’indépendance des églises et le mariage des prêtres donnent à la foi des laïques un caractère de religion personnelle qui la rapproche beaucoup du protestantisme. Si les dogmes sont fixés, et n’ont pas varié depuis bien des siècles, chacun tire de ces formules les idées qu’il croit y voir, et conserve dans l’interprétation philosophique une grande liberté. Au fond, tout en pratiquant des cérémonies traditionnelles, on se préoccupe fort peu de la théologie. A cet égard, la religion joue dans la société grecque un rôle fort analogue à celui des anciennes religions païennes. C’est un grand avantage pour les Grecs : tout en demeurant religieux, ils échappent ainsi au fanatisme, sentiment à la fois ardent et coupable produit par le mélange de la religion et de la politique.

L’absence d’alliances politiques au dedans fait que le clergé grec ne s’occupe guère que de ses fonctions sacrées, et épargne à l’état cette hostilité que les clergés latins montrent en tant d’occasions. Les couvens sont quelquefois riches ; les prêtres mariés sont le plus souvent pauvres et par conséquent peu éclairés. Il y a aujourd’hui en Grèce des personnes qui voudraient les voir rétribués par l’état et chargés des écoles primaires. Cela aurait moins d’inconvéniens que chez nous, puisqu’ils sont pères de famille et n’ont point de pape ; mais ce serait introduire la politique dans le clergé, constituer à son égard un privilège et mettre dans la société grecque un élément de discorde dont elle est exempte. Ce qui se passe au sein des nations catholiques doit instruire ces publicistes : ne s’efforcent-elles pas de rendre l’église indépendante de l’état, afin que l’état soit lui-même indépendant de l’église ? Quand on jouit de cette séparation si désirée, n’est-ce pas une grande faute que de la vouloir mettre en péril ?

L’église grecque est encore chargée au contraire de certaines fonctions qu’il serait temps de rendre à l’état. C’est elle, par exemple, qui fait et défait les mariages. Que le prêtre aille dans une maison privée baptiser un enfant et pratiquer sur lui ses cérémonies purificatoires, c’est affaire de religion pure ; l’état n’a pas à s’enquérir si un homme est d’une religion ou d’une autre. Quant au mariage, ce n’est pas simplement un acte religieux ; on pourrait même soutenir que l’Évangile ne s’en est pas vivement préoccupé. C’est un acte civil au premier chef, puisqu’il assure l’avenir des enfans, divise ou unit les héritages, et donne naissance à une foule de lois