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oreilles, άπηλπισμένοτ. Je veux donc examiner sans passion d’aucun genre les élémens constitutifs de cette société hellénique, et voir si ce désespoir est légitime, ou s’il n’est que l’effet d’une crise passagère d’où la nation grecque sortira ; je chercherai en même temps. à quelles conditions elle en pourra sortir.


I

La religion joue dans le Levant un rôle plus intime que dans les pays catholiques. Si les principes annuellement énoncés et sans cesse pratiqués par l’église de Rome ne mettaient pas celle-ci en lutte avec nos lois politiques et civiles, nous tenons en réalité si peu à ses vieux symboles à peu près incompris, que la morale générale, soutenue par les codes, pourrait régler à elle seule notre activité. C’est la lutte de l’église et de l’état qui partage les âmes et en retient un grand nombre dans le camp de la foi ; quelques-unes y restent par éducation et par habitude, d’autres s’y enrôlent par politique et par intérêt ; réunies, elles forment un corps d’armée qui fait illusion et donne une apparence religieuse à une société qui au fond ne l’est pas. Rien de semblable dans la société grecque. Ici l’église est faible et la religion forte : l’église n’a point une unité comparable à celle de la monarchie presque absolue du pape. Non-seulement les communautés chrétiennes sont indépendantes les unes des autres, et ne relèvent que de leurs évêques, qui eux-mêmes ne peuvent rien sans les synodes ; mais le clergé ordinaire est marié, les prêtres sont des pères de famille fort peu théologiens, plus occupés d’assurer des alimens à leurs femmes et à leurs enfans que de se concerter entre eux pour résister à la loi ou pour l’éluder. Ces prêtres font donc partie de la société civile au même titre que les autres citoyens. Ce qui achève de les assimiler aux laïques, c’est qu’ils ne peuvent attendre de l’église ni honneurs ni richesses : l’accès aux hautes fonctions religieuses leur est fermé ; celles-ci sont réservées au clergé régulier et non marié, de sorte que les couvens, qui chez nous forment de petites sociétés dépendantes, du pape beaucoup plus que de l’empereur, sont les retraites où les futurs chefs des églises d’Orient vont étudier la théologie et se préparer à l’administration des diocèses. Sans doute les couvens ne laissent pas d’avoir des inconvéniens dans la société grecque : célibataires, les moines cherchent souvent, dit-on, hors du royaume un point d’appui dans le nord de l’Europe et se font les propagateurs du panslavisme. C’est aux chefs du clergé à se défendre contre cette accusation ; mais ce qu’on peut affirmer, c’est que leur influence est en réalité bien faible et qu’elle diminue de jour en jour.