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détourna le cours des événemens. La France et la Prusse ne firent point la guerre ; la Russie fut isolée et réduite à l’impuissance ; on signa une trêve, et l’on immola la victime qui d’elle-même était venue s’offrir à l’autel.

Les contestations de ce genre sont toujours celles qui peuvent amener la Russie vers le sud. Tant que les Grecs n’ont vu en elle qu’une alliée de même religion qu’eux et qu’ils l’ont crue désintéressée, ils ont espéré en elle, ont compté sur son appui. Cette dernière affaire les a singulièrement détrompés. D’une part, la Russie n’a rien fait pour eux que des articles de journaux, elle ne leur a rien donné que des conseils qui ont tourné à leur détriment et à leur humiliation ; avec ses 60 millions d’habitans, elle n’a pas envoyé un homme à leur secours ; tous ses semblans d’amitié n’ont abouti qu’à de vaines paroles. D’une autre part, son habileté diplomatique a été déjouée par celle de l’Europe, qui s’appuyait sur le droit, sur la justice et sur le besoin d’avoir la paix. A la fin, la Russie fut forcée de voter avec l’Europe dans une réunion qu’elle avait elle-même provoquée et dont elle espérait certainement une autre issue : elle abandonna ses bons amis, et se vit battue dans leur personne, car les Grecs ont très bien vu que ni l’Angleterre, ni la France, ni aucun peuple libéral ne leur était hostile, et qu’à la Russie seule on voulait imposer des bornes. Cette puissance a donc subi dans l’orient de l’Europe un échec qu’elle aura de la peine à réparer ; le panslavisme, vaincu une première fois dans les provinces du Danube par la chute du ministère Bratiano, l’était une seconde fois à Paris, et cela au moment où un allié de la Russie venait d’être militairement repoussé non loin du fleuve Caboul, dont les eaux descendent à l’Indus. Enfin, au temps même de la conférence, les journaux russes annoncèrent que le shah de Perse marchait sur Constantinople. Le shah n’a pas marché, et, s’il comprend ses intérêts, non-seulement il ne marchera pas, mais il se gardera des excitations qui peuvent lui venir du nord.

La Russie mine l’empire ottoman sur toutes les frontières. Cette situation, bien loin de favoriser les tentatives des Grecs, les rend impuissantes, car il est inadmissible que la Russie s’empare de pays musulmans sur lesquels elle n’a aucun droit ; l’Europe ne peut point accepter qu’elle s’installe à Constantinople, domine la Méditerranée et s’empare de la grande route de l’Orient, Par la même raison, on ne la laissera pas s’étendre jusqu’au Golfe-Persique, et les Anglais l’arrêteront du côté de l’Inde avant qu’elle ait pris le Caboul, qu’elle descende à Attock et menace Delhi. L’Europe a intérêt à ce que la Russie reste chez elle ; on a vu par deux fois qu’elle est assez forte pour l’y contraindre au besoin. C’est aux Grecs de