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jamais aussi, l’Allemagne du sud s’interroge elle-même sur sa situation présente et sur son avenir. Cette affaire des traités militaires avec la Prusse, soulevée il y a quelques jours, on l’examine, on la remue dans tous les sens pour finir par se laisser aller à un sentiment qui n’est pas précisément de la confiance. Il est parfaitement visible que l’œuvre ne marche pas ; elle ne marche ni en Prusse, ni dans les provinces annexées, ni dans les états du sud. C’est toujours la même question qui revient : M. de Bismarck a-t-il été l’homme d’état attendu de l’Allemagne ? n’a-t-il été au contraire qu’un joueur audacieux tentant la fortune au nom de l’ambition prussienne et se moquant parfaitement du reste ? Le malheur de M. de Bismarck dans tous les cas, c’est d’avoir été un politique très incomplet et de n’avoir pas compris que la liberté était pour lui une complice nécessaire en Allemagne. À l’origine et quand il s’agissait de gagner l’alliance de tous les instincts nationaux, il a paru sans doute un moment vouloir entrer dans cette voie libérale, il a multiplié les parlemens. Le vieil homme n’a pas tardé à reparaître en lui, il reparaît chaque jour d’une façon plus sensible, à mesure que les difficultés s’accroissent et mettent à l’épreuve cette nature irritable.

En réalité, aujourd’hui comme hier, M. de Bismarck est un de ces aimables despotes qui sont fort libéraux tant qu’on fait leur volonté ; c’est un annexioniste prussien, un architecte de l’hégémonie prussienne par l’autocratie, ce n’est rien moins qu’un patriote libéral ; il n’a pas su se saisir de ce puissant levier moral à l’aide duquel il pouvait soulever l’Allemagne et la rallier autour de lui. C’est là précisément ce qui fait sa faiblesse. Qu’a-t-il à offrir aux autres états comme prix de leur autonomie indépendante, puisqu’il ne s’inquiète guère de leur donner la liberté ? On comprend dès lors la recrudescence des sentimens particularistes. Et d’un autre côté, l’agrandissement matériel de la Prusse est-il une garantie suffisante pour l’Allemagne ? C’est ce qu’on met plus que jamais en doute ; c’était le sujette cette brochure d’un officier wurtembergeois, M. Streubel-Arkolay, qui fait encore pousser des cris d’aigle à Berlin, parce qu’elle met à nu les faiblesses d’une situation qui reste pour ainsi dire en l’air, qui a perdu ses défenses naturelles. Exclure l’Autriche du système germanique pour rester seule maîtresse et dominatrice, c’est ce qui a été la pensée principale de la Prusse ; mais en sortant de l’Allemagne l’empire autrichien a cessé d’être le protecteur des états du sud, qu’il domine pourtant stratégiquement, de telle sorte que dans une guerre l’Autriche, sans même prendre parti, n’aurait qu’à rester immobile et armée pour énerver la défense de l’Allemagne du sud, en attendant de devenir une menace plus redoutable par une intervention directe, si les événemens la provoquaient. Contre ce danger, quel secours peut porter la Prusse ? La Prusse est loin, et elle aurait bien assez de se défendre elle-même ; elle aurait à disputer sa frontière sur le Rhin. Elle a voulu être une puissance maritime, elle aurait à protéger ses côtes