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qu’en lui : mais on la voit poindre chez le zoophyte, luire un peu plus chez l’insecte, se révéler même chez l’huître, que l’on habitue, quand on l’a parquée, à garder son eau, afin qu’elle arrive toute fraîche aux lèvres du gourmet. L’intelligence va ainsi croissant toujours à chaque échelon de l’animalité jusqu’à ce qu’elle perce dans les animaux supérieurs et resplendisse dans l’homme. Elle n’est donc pas en ce dernier une différence générique, car la gradation continue d’un seul et même caractère ne conduit pas la science d’un règne à un autre. Pour qu’il y ait coupure, il faut un caractère nouveau. Or l’anthropologie ne reconnaît pas ce caractère dans l’intelligence. Elle ne l’aperçoit pas non plus dans le langage ni dans les affections de l’homme, parce que l’animal lui paraît offrir, quoiqu’à un plus humble degré, ces phénomènes psychologiques. La séparation existe cependant. Le signe humain par excellence, celui qui, d’après M. de Quatrefages, marque l’hiatus entre la bête et nous, grâce auquel l’homme est vraiment seul de son genre, ce signe, le voici : l’homme discerne le bien du mal, il a une faculté que l’anthropologie nomme la moralité ; l’homme croit à un être ou à des êtres dont la puissance surpasse infiniment la sienne, il a une faculté qui est la religiosité. Rien de pareil à ce double don n’a jamais paru chez la bête ; donc l’homme est un être à part, et la science doit compter un quatrième règne, le règne humain.

Après certaines hésitations, Linné et Buffon avaient adopté cette théorie du règne humain. En la reprenant et en l’appuyant sur un nouvel ensemble de fortes preuves, l’anthropologie nouvelle a montré que les argumens tirés des caractères invisibles étaient à ses yeux les plus dignes d’être comptés. Il est en outre fort remarquable que, parmi les phénomènes psychologiques, deux seulement et les plus élevés lui aient paru constituer des différences capitales entre l’homme et l’animal. Eh bien ! si haut que l’eût conduite cette méthode, elle a jugé qu’elle devait monter encore. Elle tenait dans sa main des faits décisifs, il lui a fallu concevoir idéalement, nommer et affirmer La cause. « Nous ne devons pas hésiter, — écrit M. de Quatrefages, — à employer l’expression d’âme, et nous dirons que l’homme se distingue des animaux par son âme morale ou âme religieuse. » Contre une interprétation trop profonde de ces paroles, il a pris ses précautions ; je ne l’oublie pas. Il a déclaré une dernière fois qu’en faisant usage du mot âme, il le donnait sans commentaire philosophique ou religieux comme le signe purement représentatif d’une cause inconnue. Il ajoute qu’il ne se préoccupe ni de la nature, ni de l’origine, ni de la destination de ce principe, et il se tait en effet sur la double question de la destination et de l’origine. Quant à la nature de l’âme, c’est autre chose ; il en a expressément parlé. Il affirme que