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Nulle science digne de ce nom ne se borne à l’observation, à l’analyse et à la description des faits ; toutes les sciences, quel qu’en soit l’objet, que ce soit la nature, l’homme ou la société, ne s’arrêtent point dans leurs recherches avant qu’elles n’aient découvert et formulé les lois qui régissent les phénomènes. Or c’est là précisément en quoi consiste ce que les savans, M. Claude Bernard en tête, appellent le déterminisme, sorte de nécessité naturelle ou morale qui remplace, dans toute œuvre vraiment scientifique, la contingence arbitraire des réalités physiques ou morales dont la loi reste à déterminer. C’est ainsi que l’étude de la nature, l’étude de l’histoire, l’étude de l’esthétique, l’étude de toute chose, ne deviennent une véritable science que du moment où les faits qu’elle comprend ont été ramenés à des lois plus ou moins susceptibles d’être traduites en formules. Pour toutes les sciences de la nature, mécanique, physique, chimie, biologie, il y a trois siècles que cette direction est suivie, on sait avec quel succès. Quant aux sciences morales proprement dites, ce n’est guère que depuis le commencement de ce siècle qu’elles ont été appliquées à la recherche des lois, et comme, dans l’accomplissement de cette tâche, elles n’ont pas rencontré des conditions aussi favorables, il faut dire qu’elles ne sont point parvenues à des résultats aussi satisfaisans. On sait les tâtonnemens, les incertitudes, les contradictions de l’histoire et même de l’économie politique dans cette partie la plus haute, mais aussi la plus difficile de leur œuvre. Il n’en est pas moins vrai que ces sciences tendent de plus en plus, par la réduction des phénomènes à des lois, vers ce déterminisme qui fait le caractère propre de toute œuvre scientifique. Si des sciences particulières la pensée s’élève à la spéculation générale qui embrasse tout l’ensemble des connaissances humaines et tout le système de la réalité universelle, on est bien plus frappé encore du caractère de nécessité logique ou métaphysique que présente l’enchaînement des idées, des principes et des conclusions dont se compose chacune de ces grandes et vastes synthèses. Tout se produit, se développe, s’explique par des lois inflexibles dans les systèmes de Spinosa, de Malebranche, de Leibniz, de Schelling, de Hegel. Le mot même de déterminisme, aujourd’hui appliqué à tout ce qui se nomme science, est la formule de la philosophie des monades.

Que devient l’être moral, l’homme de la conscience avec ses attributs propres, au sein de cette fatalité universelle ? Où est le rôle, où est la place de la personne humaine dans une science naturelle qui explique tout par un concours de forces physiques, dans une science historique qui explique tout par l’action irrésistible des grandes forces naturelles et sociales, dans une spéculation