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métaphysique qui explique tout par le procès logique des idées ? Que deviennent le libre arbitre, la responsabilité, la moralité, la personnalité de l’être humain, individu, peuple, race, sous l’empire d’une pareille nécessité ? C’est ce que nous allons rechercher aujourd’hui à propos des expériences et des conclusions de la physiologie, nous réservant de faire le même travail un autre jour à propos des théories historiques et des spéculations métaphysiques. Ici ce n’est plus sur les sommets de la pensée que s’agite le débat ; c’est au cœur de la nature humaine. La physiologie contemporaine a pénétré dans le sanctuaire même de la vie morale ; elle entend y régner et y dicter ses arrêts comme dans le domaine de la vie physique. Elle explique la pensée, la volonté, la moralité à sa manière, c’est-à-dire en altérant les caractères essentiels de toutes ces choses et en les ramenant aux lois de la nature. Si la psychologie réclame contre une telle usurpation, la physiologie lui répond : Taisez-vous, vous n’êtes pas une science, et la science seule est juge en ceci comme en tout le reste. Votre sentiment de la liberté, de la responsabilité, n’est qu’une illusion ; votre analyse de la volonté, n’étant point d’accord avec nos explications, n’a aucune autorité scientifique. Il est vrai que l’homme se croit l’auteur de ses actes : il peut être bon qu’il le croie pour la persévérance des efforts et le développement du caractère ; mais c’est là tout ce que la science peut accorder. La vérité vraie est que l’acteur est la nature, et que, dans la vie morale comme dans la vie physique, tout se fait et s’explique par le jeu des forces naturelles.

Pourquoi le nier ? Dans ce débat entre la science et la conscience, l’opinion du monde savant semble quelque peu complice de la physiologie. Aujourd’hui la faveur n’est point aux expériences et aux analyses du sens psychologique. L’esprit de notre temps est plus enclin à regarder toutes choses du dehors que du dedans ; il a plus de goût pour la contemplation des réalités extérieures que pour l’intuition des réalités intimes. A vrai dire, la psychologie n’a jamais été l’étude de prédilection de notre pays, dont le génie, si nous ne nous trompons, se prête bien mieux à la déduction logique et même à la spéculation métaphysique. Nous avons eu beaucoup de grands logiciens depuis Pascal et Descartes jusqu’à Lamennais. Nous avons eu, en moins grand nombre, des métaphysiciens comme Malebranche ; nous n’avons eu qu’un grand psychologue, Maine de Biran, qui est resté obscur d’abord et qui n’a pas fait école, et un grand professeur de psychologie, Théodore Jouffroy, dont la méthode d’analyse a été bien vite abandonnée pour la méthode d’exposition historique. Ce n’est pas seulement dans les études philosophiques et morales qu’on voit le défaut de sens psychologique de