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simplement : Pour avoir de beaux bonnets ! — Chez ces êtres malsains, il existe parfois d’étranges délicatesses. Vers 1833, Lacenaire, qui avait une fort belle écriture, était employé chez un entrepreneur de copies ; il avait sans doute commis plusieurs crimes, car il était connu déjà ; sous le nom de Gaillard ; il dînait fréquemment dans un petit restaurant où des artistes, des clercs d’huissiers, des débutans littéraires, venaient prendre leur repas. Un jour, deux auteurs dramatiques d’un ordre peu élevé firent prix avec lui pour la transcription d’un drame. Le lendemain, Lacenaire leur remit le manuscrit en déclarant qu’il ne voulait pas le copier. « J’ai lu la pièce, dit-il, et je la trouve trop bête. »

On croirait, à voir l’insensibilité absolue de certains criminels, qu’ils sont nés hors de l’humanité, comme des animaux malfaisans doués de parole et destinés à épouvanter les hommes par des actes incompréhensibles. Boutillier, âgé de vingt-un ans, frappe sa mère de cinquante-six coups de couteau, puis, comme il se sent fatigué, il se couche sur le lit à côté du cadavre, et, — je cite son expression, — passe une bonne nuit. Qui ne se souvient de ce Castex, — à peine un jeune homme, — qui étrangle et écrase, près de Saint-Denis, un enfant de trois ans ? Dans des cas pareils, en présence d’une perversité si profondes si radicale, si prématurée, est-ce bien à la justice qu’il faut livrer de tels monstres, et n’appartiennent-ils pas de droit, par suite d’une lésion des organes de l’intelligence, aux médecins aliénistes ? Une telle suppression des sentimens les plus simples est rare chez les jeunes gens ; elle se rencontre plus fréquemment chez les vieillards, chez ceux qui, passant selon l’occasion des délits aux crimes, du vol au meurtre, ne redoutent plus rien. Pour ceux-là, ils font un métier qui a des chances bonnes ou mauvaises ; ils parlent de leur état comme un artisan parlerait de sa profession. Ont-ils une âme ? On en peut douter à les entendre, et quand ils meurent, on est tenté de se demander si ce n’est pas simplement une machine violente qui cesse tout à coup de fonctionner. Un vieux Juif nommé Cornu, ancien chauffeur, se promenait un jour de beau temps aux Champs-Elysées. Il est rencontré par de jeunes voleurs, grands admirateurs de ses hauts faits, qui lui disent : « Eh bien ! père Cornu, que faites-vous maintenant ? — Toujours la grande soulasse, mes enfans, répond-il avec bonhomie, toujours la grande soulasse. » La grande soulasse, c’est l’assassinat suivi de vol. Verdure va voir son propre frère monter sur l’échafaud, où l’avait conduit une longue série de crimes. En revenant de l’exécution, il entre dans un cabaret où l’attendaient plusieurs de ses camarades, et leur fait voir en riant quatre montres et une bourse qu’il a soustraites aux curieux pendant que le bourreau