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de Babel, le corps législatif ; le four banal, l’omnibus ; la harpe, le grillage en barres de fer qui garnit les fenêtres des prisons ; une négresse est un paquet de marchandises enveloppé de toile cirée ; le sans-dos est le tabouret sur lequel le condamné s’assoit lorsqu’on lui fait la toilette ; les batteurs de dig-dig représentent ces industriels que le moyen âge appelait sabouleux, qui, avec un morceau de savon dans la bouche, écument, se roulent par terre comme des épileptiques, de façon à provoquer la charité des passans et à vider les poches, si l’on s’empresse de les secourir de trop près. Le commissaire de police est le quart d’œil, et fouiller pour voler se dit faire le barbot. Le président de la cour d’assises est appelé Léon, vieille tradition du droit coutumier, car le siège des seigneurs justiciers était le plus souvent porté sur deux lions, emblème de force et de puissance ; dans bien des chartes ecclésiastiques, on retrouve des jugemens précédés de la formule : nostro abbate sedente inter leones. Les gendarmes sont les marchands de lacets. Autrefois la guillotine était l’abbaye de monte-à-regret ; mais depuis qu’on la dresse sur la place de la Roquette et qu’afin de la mettre d’aplomb on l’appuie sur cinq dalles placées au milieu du pavage, on la nomme « l’abbaye de cinq pierres, » comme « aller à Niort » veut dire nier. Il est une expression saisissante qui jette sur l’existence de ces fugitifs toujours poursuivis et toujours affamés un jour tel qu’elle en reste éclairée jusque dans ses profondeurs les plus ténébreuses ; pour eux, le banc des accusés à la cour d’assises se nomme « la planche au pain. » Il y a là un aveu implicite de tant de souffrances et de tant de misères qu’on se sent atteint par une commisération involontaire.

Parler ce langage, c’est jaspiner bigorne, textuellement aboyer l’enclume, et les voleurs le possèdent dans toutes ses nuances ; il ne faudrait pas croire d’après cela qu’ils vivent mêlés, sans distinction et sans hiérarchie. Loin de là ; ces artisans du mal se divisent et se subdivisent à l’infini. Chaque genre de vol représente une catégorie d’individus presque exclusive. Ils sont en ceci semblables aux corps d’état, qui se respectent, se dédaignent mutuellement, et n’empiètent jamais les uns sur les autres. Les malfaiteurs qui pratiquent habituellement plusieurs espèces de vol sont rares, presque toujours au contraire ils se sont renfermés dans une spécialité où ils finissent par acquérir une adresse prodigieuse. Il y a autant de diversités dans le vol qu’il y en a dans le travail. Les voleurs ne l’ignorent pas, et lorsque ! ’un d’eux dit : Je n’ai pas travaillé aujourd’hui, cela signifie simplement qu’il n’a trouvé aucune occasion de voler. Les plus nombreux et les plus dangereux peut-être, car on ne s’en méfie guère et nous les coudoyons tous