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faisant gloire. Pendant que ces chants d’énergumène bruissent encore dans leur souvenir, s’ils rencontrent sur les berges de la Seine ou sur les bords du canal un passant attardé, avant toute réflexion, ils se jettent sur lui, l’assomment ou l’étranglent, le dépouillent et poussent le cadavre à l’eau. Sur des natures grossières, un tel enivrement conduit au crime. Ceux qui, arrêtés et interrogés, convaincus de meurtre dans de semblables circonstances, disent : « J’étais fou, » ne mentent pas. Ils ont agi sous l’influence d’une perturbation nerveuse causée par un abus de sonorité admirablement combinée pour ébranler l’âme la plus forte et la mieux assise.

L’aspect de ces mauvais lieux a dû être singulièrement modifié par le gaz ; autrefois c’étaient des salles fumeuses à peine éclairées par un quinquet charbonneux et tremblotant ; à cette heure, la lumière y ruisselle et leur donne peut-être une apparence plus lugubre, car tout s’y aperçoit jusque dans les moindres détails. L’œil embrasse à la fois toutes ces têtes sur lesquelles on s’épuise en vain à chercher la trace des crimes commis ; sous la grande clarté, il semble que les âmes mises à nu vont laisser pénétrer leur secret, et que de ces cerveaux on va voir sortir les larves qui les habitent. La férocité des mœurs n’apparaît réellement que pendant les querelles. Lorsque quelques-uns de ces bandits se disputent entre eux, on n’a garde de les séparer ; loin de là, on les excite. Quand l’insulte a été vive, lorsque l’injure vomie a été si bestiale qu’il faut en venir aux mains, ce n’est pas à coups de poing ni à coups de pied qu’on s’attaque, c’est à coups de tête. Rapidement, d’un seul bond, les deux adversaires s’éloignent et prennent du champ, puis ils se précipitent l’un sur l’autre, le front baissé, comme deux taureaux ; à chaque coup bien porté, la galerie applaudit. Heureusement qu’il se trouve toujours là quelque sergent de ville, alerte, quelque garde de Paris solide qui ramassent les combattans et les jettent au violon avant qu’ils aient eu le temps de se défoncer les côtes. Il faut que de tels plaisirs aient un bien grand attrait pour ces misérables, car, au risque de leur liberté, ils y reviennent invariablement. C’est toujours dans les mêmes cabarets, dans les mêmes cafés, dans les mêmes bals qu’on les retrouve. L’expérience n’y fait rien, elle s’émousse sur une sorte de besoin inexplicable et irraisonné de retourner vers des jouissances déjà connues. C’est ce qui peut faire douter de l’intelligence de beaucoup d’entre eux ; ils n’ont guère que de l’instinct, semblables à ces animaux qui, traqués, pourchassés, repassent fatalement par des endroits pleins de périls, où le chasseur avisé les attend avec certitude. Cette persistance dans l’habitude est, à de très rares exceptions près, un fait commun aux voleurs. Tout malfaiteur est