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homme de débauche ; tôt ou tard, quel que soit le danger qui le menace, il retourne à son vieux péché et tombe dans les mains ouvertes pour le saisir.


IV

S’il est impossible de dire, même approximativement, le chiffre des malfaiteurs qui habitent Paris, on peut du moins déterminer avec certitude le nombre de ceux que la préfecture de police a fait arrêter ; mais il n’est point inutile de remonter de quelques années en arrière et de voir dans quelle proportion ces gens de mauvais monde s’empressent vers la ville qui les tente et les attire de partout, car là se rencontrent plus que partout ailleurs l’occasion, le plaisir, le refuge et peut-être l’impunité. On arrête 20,726 individus en 1857, 24,953 en 1862, 25,516 en 1865. La différence est notable, mais elle est jusqu’à un certain point insignifiante en présence de celle qui se manifeste actuellement. 1866 donne 28,644 arrestations, et 1867 atteint le chiffre de 31,437. Ainsi dans une période de dix ans l’augmentation est précisément d’un tiers. Elle ne fléchit pas, car en 1868 les chiffres s’élèvent à 35,751. La surveillance dont les criminels et les délinquans sont l’objet est plus étendue, menée avec plus d’ensemble, mieux ramifiée qu’autrefois, ceci n’est point douteux, et la répression est plus efficace. Cependant le nombre plus considérable de sergens de ville, les services actifs plus vigilans, ne suffisent point à expliquer des écarts aussi profonds. Cette progression semble être en correspondance directe avec celle que j’ai eu l’occasion de faire remarquer lorsque, m’occupant de la Seine à Paris, j’ai parlé de la Morgue et du nombre de cadavres toujours croissant qu’on y apporte chaque année. Une des causes principales de cette augmentation dans les délits et les crimes tient à l’horreur instinctive que le Français manifeste pour l’émigration. Dans les races saxonnes et germaniques, les aventureux et les aventuriers, ceux qui ne trouvent point dans la mère-patrie une existence assurée, qui se sentent tourmentés par ce malaise vague et indéfini auquel bien peu de jeunes gens savent échapper, s’en vont vers les libres contrées de l’Amérique chercher des occasions de fortune. Chez nous, dans notre race gallo-latine, il n’en est point ainsi ; nous tenons au sol par des attaches si fortes et si tendres que nous ne pouvons les rompre. La vie est dure au village, sans issue, restreinte entre le pénible labeur de la terre et l’impossibilité de se mouvoir dans un milieu étroit et surveillé. Là-bas, à Paris, on dit qu’il y a de l’ouvrage pour chacun, qu’on reconstruit une ville, qu’un bon ouvrier y gagne facilement cinq francs